Chacun cherche sa Flûte enchantée au Théâtre des Champs-Elysées
Une atmosphère de Festival de Cannes entourait les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées, ce soir de première d’une Flûte enchantée mise en scène par Cédric Klapisch. Le réalisateur de Chacun cherche son chat a-t-il trouvé son Mozart ? Compte-rendu…
Après une réjouissante Cenerentola de Rossini avec la flamboyante Marina Viotti, pour sa deuxième production lyrique de la saison, le Théâtre des Champs-Elysées frappe les trois coups avec un temps fort des plus symboliques. Pour cette Zauberflöte (La Flûte enchantée) de Mozart, Michel Franck (directeur de l’institution parisienne) a bâti une nouvelle production autour de quelques personnalités en vue. Alors qu’il entame sa deuxième saison en résidence avenue Montaigne avec Les Siècles, le chef François-Xavier Roth se retrouve naturellement à la direction musicale tandis qu’un apprenti a été chargé de la mise en scène. Comme il l’avait fait avec James Gray, Franck a fait venir le célèbre cinéaste Cédric Klapisch pour qu’il effectue ses premiers pas à l’opéra. Embarqués dans une Auberge espagnole d’un autre genre, les spectateurs du 13 novembre 2023 ont découvert son travail.
Ni pour ni contre (bien au contraire) un air de famille pour cette Flûte
Avec un metteur en scène certes connu mais novice à l’opéra, le pari pouvait être risqué. Les mélomanes parisiens se souviennent de l’Attila de Verdi à Bastille (ratage co-signé Josée Dayan et la regrettée Jeanne Moreau) mais également des raffinées nozze di Figaro par James Gray qui, il y a quatre ans, avait fait les très beaux soirs du TCE. Alors que le réalisateur américain avait axé son travail sur une psychologie fouillée des personnages, Cédric Klapisch préfère le spectacle bon enfant à l’adresse du grand public. Les spectateurs néophytes qui découvriront le chef-d’œuvre de Mozart pour la première fois seront enthousiastes, les mélomanes avertis, beaucoup moins. Leur plus grande surprise viendra des dialogues parlés, le cinéaste ayant préféré une V.F. revisitée. L’actualisation offre quelques bons mots gentiment actuels que les puristes verront comme une trahison. Mettre un nez rouge à la Joconde peut décomplexer mais ne la rend pas plus attractive aux yeux de ceux qui l’admirent déjà. Sur scène, l’histoire suit son cours dans des décors efficaces agrémentés d’animations vidéos bienvenues, les personnages évoluent dans un univers de jeu vidéo amusant dans de splendides costumes conçus par Stéphane Rolland et Pierre Martinez. Ce qui marche pour les nouveaux spectateurs laisse les habitués sur leur faim car il manque une dose de magie pour les convaincre et surtout, de l’éblouissement. Cette lecture premier degré du réalisateur de cinéma n’est pas toujours bien servie par les acteurs/chanteurs, ce qui est étonnant.
Du péril jeune au péril chant, un Casse-tête chinois pour les voix
Ce soir de première, Florent Karrer manque de charisme et d’assurance vocale dans Papageno. Alors que son personnage remporte habituellement tous les suffrages, sans doute figé par le trac, le jeune artiste peine à exister pleinement face aux trois dames que l’on a rarement vu et entendu aussi exceptionnelles. Leur gestuelle saccadée forme une chorégraphie qui séduit avec une magnifique complémentarité des timbres vocaux. Il faut dire qu’avec Judith van Wanroij, Isabelle Druet et Marion Lebègue habituées à être en haut de l’affiche, les mélomanes sont particulièrement gâtés. Maniant l’éclectisme avec art, le divin Cyrille Dubois est aussi un excellent mozartien que l’on attendait à Paris dans le rôle de Tamino. Le ténor se montre à son aise même s’il semble perdre son assurance en cours de route (un suraigu ajouté à « Wie stark ist nicht dein Zauberton » déstabilise plutôt son beau chant). Desservi par son costume de super héros orné d’une cape, le comédien manque, pour l’instant, d’épaisseur théâtrale face à sa douce Pamina qui occupe l’espace avec naturel. Avec un timbre velouté et un chant sensible, Regula Mühlemann est la révélation de ce spectacle où tous ne déversent pas autant de miel. Dans le rôle si emblématique de die Königin der Nacht, Aleksandra Olczyk déçoit, ses suraigus tombant à côté dans ses deux airs. Sarastro est plus chanceux avec Jean Teitgen qui se montre prudent dans les graves abyssaux peu audibles mais qui relève sans problème le défi de la vaste tessiture de l’ex-époux de la Reine de la Nuit. Son esclave Monostatos est chanté par Marc Mauillon, histrion idéal qui cabotine pour notre plus grand plaisir en costume SM. Aux côtés des seconds rôles bien distribués (Ugo Rabec, Blaise Rantoanina et Josef Wagner, un impressionnant Sprecher) l’on remarque facilement Catherine Trottmann qui se détache en parfaite comédienne dans Papagena et également les Drei Knaben que l’on aura rarement entendu aussi justes et bien chantants. Le travail de Gaël Darchen qui a préparé le Chœur Unikanti et dirige la Maîtrise des Hauts-de-Seine est à saluer comme celui de François-Xavier Roth. Alors qu’il défend la partition pour la première fois de sa prestigieuse carrière, le chef s’affirme dans une ouverture explosive et ne cesse ensuite d’enchanter avec son orchestre Les Siècles dont l’expertise sur instruments d’époque s’entend et se ressent. Ici encore, les vieux de la vieille pourront être agacés par les quelques bruitages qui viennent brouiller l’écoute mais peu importe, cette Flûte enchantée s’adresse à un autre public, celui qui demain partagera les mêmes exigences.