L’Opéra de Nice atteint l’Himalaya avec la nouvelle Lakmé
Les mélomanes ont tous en mémoire la Lakmé de 2022 à l’Opéra Comique. Un an après, l’Opéra Nice Côte d'Azur coproducteur reprend le spectacle avec une toute nouvelle distribution. Arrivera-t-elle à se hisser au même exceptionnel niveau ? Réponse…
Il y a quasiment un an jour pour jour, les spectateurs parisiens de l’Opéra Comique découvraient assez subjugués la nouvelle production de Lakmé, signée Laurent Pelly. Par un heureux jeu de coproduction, l’Opéra Nice Côte d'Azur a accueilli le spectacle le 29 septembre 2023 pour trois représentations, avant l’Opéra national du Rhin où les décors seront montés en novembre prochain. Aussi populaire soit-il, le chef-d’œuvre de Léo Delibes n’est pas si souvent à l’affiche (cette saison 2023-2024 dans le monde, l’opéra n’est à l’affiche nulle part ailleurs qu’à Nice, Strasbourg et Mulhouse) car il exige des voix hors du commun, à commencer par celle de Lakmé. Les sopranos légers qui se sont illustrées dans le rôle comme Mado Robin, Christiane Eda-Pierre ou Mady Mesplé l’ont marqué de leur empreinte avant la révolution Natalie Dessay. En apportant une profondeur psychologique inédite grâce à son jeu naturel, la grande artiste a sanctuarisé l’interprétation d’un personnage jusque-là plutôt tremplin aux acrobaties vocales.
La naissance de Lakmé par Bertrand Rossi
Avec aujourd’hui au sommet une Sabine Devieilhe qui allie grâce et technique impressionnante, la déesse continue à émouvoir, rendant plus difficile encore la tâche pour les directeurs de théâtres car point de Lakmé sans Lakmé. Les spectateurs ne se contentant plus que du meilleur, Bertrand Rossi, le parfait et avenant directeur de la maison niçoise, a eu une parfaite intuition en confiant le rôle à Kathryn Lewek. Alors qu’elle se définit comme soprano dramatique colorature, l’artiste a été révélée ici-même au public français la saison dernière en incarnant une Lucia di Lammermoor convaincante. Habituée à chanter la Reine de la nuit de Die Zauberflöte, elle entame un air des clochettes stupéfiant de vélocité qui produit grandement son effet avec des notes tenues et une accélération originale dans les vocalises comme une petite touche personnelle. Un air, aussi virtuose soit-il, ne fait pas un opéra et c’est exactement ailleurs que les mélomanes attendaient Kathryn Lewek. Avec une très bonne diction, elle se montre émouvante à chaque instant avec des demi-teintes et de superbes pianos qui finissent par faire totalement chavirer les cœurs. Une grande Lakmé est née ce soir à l’Opéra de Nice. La soprano qui abordait le rôle pour la première fois n’a pourtant pas été aidée par la mise en scène conçue pour une autre.
Une mise en scène pareille, pareille mais différente !
Il est très agréable de retrouver le travail élégant de Laurent Pelly (repris par Luc Birraux) mais dommage que le costume et certains mouvements n’aient pas été adaptés à la nouvelle interprète qui court beaucoup sur le plateau. La poésie émane des décors japonisants stylisés et avec des moments de tension et de comédie, la mise en scène fluide et épurée atteint son but en racontant une Lakmé à la fois originale et fidèle. Le personnage de Nilakantha, père de l’héroïne, transformé en fanatique religieux perd en humanité mais gagne en puissance dramatique. Même si quelques aigus le mettent parfois en difficulté, Jean-Luc Ballestra s’acquitte du rôle avec un certain panache en apportant une belle intensité que l’on retrouve dans le jeu de Guillaume Andrieux. Dans le rôle du camarade Frédéric qui pourrait facilement passer pour un faire-valoir, il impose sa belle présence avec un talent naturel déjà remarqué dans son vibrant Pelléas. Comme pour Lakmé, distribuer Gérald peut s’avérer une gageure car le rôle sollicite une tessiture ravageuse que Thomas Bettinger domine avec un métier certain. Pas exactement ténor léger, il reste cependant parfaitement crédible en officier britannique qui tombe amoureux de la fragile héroïne. En sous-texte, l’histoire de Lakmé évoque les fractures culturelles entre Anglais et Indiens. Laurent Pelly a choisi de ridiculiser les colons et malgré un jeu volontairement caricatural, la Miss Ellen de Lauranne Oliva se détache. Avec un chant assuré, la jeune soprano qui vient de remporter la Paris Opera Competition est assurément une artiste qui comptera dans le paysage lyrique. Elsa Roux Chamoux (Miss Rose), Svetlana Lifar (Mrs Bentson) et Carl Ghazarossian (Hadji) sont également à citer tout comme le choeur de l’Opéra de Nice et surtout Majdouline Zerari, douce et poignante Mallika, la suivante. Avec la direction musicale solide de Jacques Lacombe, l’Orchestre Philharmonique de Nice donne le meilleur de lui-même. Après cette nouvelle superbe réussite, l’Opéra Nice Côte d'Azur et son directeur continuent un parcours sans faute et une belle histoire d’amour avec un public azuréen des plus gâtés.