Classique c'est cool

View Original

Marina & Lorenzo Viotti, nouvelles stars du Théâtre des Champs-Elysées

La vie du mélomane est parsemée de surprises. Alors qu’il a rendez-vous avec un baryton, il se retrouve à applaudir une mezzo et son frère, nouvelles têtes d’affiche du Théâtre des Champs-Elysées. Alors, plutôt bonne ou mauvaise surprise ? Compte-rendu…

Marina Viotti © Eric Larrayadieu et Lorenzo Viotti © Dutch National Opera/Daniëlle van Coevorden

Les hasards font parfois bien les choses. Le Théâtre des Champs-Elysées devait accueillir, ce mardi 24 janvier 2023, le baryton de légende Matthias Goerne aux côtés du jeune chef dont tout le monde parle, Lorenzo Viotti. Quelques heures avant le début du spectacle, les mélomanes ont reçu le message qu’ils redoutent :  « Matthias Goerne souffrant, ne sera pas en mesure de vous retrouver ce soir ». Tous ont déjà vécu la déception de ne pas avoir exactement l’affiche qu’ils attendaient. Faisant fi des artistes présents sur scène, les plus radicaux renâclent à assister au concert tandis que les plus avisés font confiance à une grande institution comme le TCE pour trouver un remplaçant. S’agissant d’un artiste de la trempe de Matthias Goerne, la tâche était plutôt ardue pour les équipes artistiques de l’avenue Montaigne qui ont toutefois créé la surprise en invitant Marina Viotti à la dernière minute.

Le Mahler de Marina Viotti sauve la soirée

Lorenzo Viotti © Eduardus Lee

Les habitués bienheureux de la salle ont ainsi pu se réjouir de retrouver la superbe mezzo après son triomphe dans La Périchole d’Offenbach, en novembre dernier. Une dose de glamour que n’auraient pas dédaigné les médias people s’est même invitée sur scène puisqu’à la ville Marina et Lorenzo Viotti, pour qui tout sourit, sont frère et sœur. Le programme inchangé a permis à Marina de s’illustrer sur le terrain de la mélodie en interprétant les Rückert-Lieder de Mahler. En choisissant « Ich atmet' einen linden Duft » chanté sur le fil pour ouvrir le cycle, la mezzo déploie son timbre gracieux avec des graves négociés avec adresse. Les aigus faciles de « Blicke mir nicht in die Lieder » n’enlèvent rien à la diction, très bonne. Les yeux souvent rivés sur la partition, la jeune artiste peine pourtant à incarner les textes* et le très beau « Liebst du um Schönheit » manque de chaleur et d’abandon. Lorenzo Viotti quant à lui, déborde de sensualité à la tête de son Netherlands Philharmonic Orchestra. Les artistes terminent avec les sombres « Um Mitternacht » et « Ich bin der Welt abhanden gekommen » où la longue phrase mahlérienne trouve toute la délicatesse et une certaine finesse chez le frère, un peu trop de retenue chez la sœur. La prestation vocale manquant sans doute de préparation, l’on préfère prendre rendez-vous pour entendre à nouveau Marina Viotti dans ce répertoire (rappelons que le remplacement s’est fait à la dernière minute).

Lorenzo Viotti nous a réservé une petite surprise

Marina Viotti © David Ruanoquer

Aucun problème de préparation côté orchestre, Lorenzo Viotti a dirigé avec brio la Passacaille de Webern en ouverture puis la Symphonie No. 2 de Brahms dans la deuxième partie du concert. A bientôt 33 ans, il fait partie de cette nouvelle génération de jeunes chefs aussi à l’aise avec leur image sur les réseaux sociaux que devant un ensemble de musiciens. Pour ce premier concert parisien avec l’orchestre dont il est directeur musical depuis la saison 2020-2021, Viotti qui dirige sans partition, a fait le choix de la plus discrète des symphonies de Brahms et ceci n’est peut-être pas anecdotique. Il semble aborder l’oeuvre avec l’humilité de ceux qui n’ont rien à prouver et qui souhaitent servir le compositeur plutôt qu’eux-mêmes. En s’enivrant dans un hédonisme de beau son, il s’y révèle assez viennois dans l’esprit. Les grandes phrases du premier mouvement sont prises avec un legato épicurien avant d’exprimer la mélancolie du second mouvement avec beaucoup d’élégance. Le tempo du dernier mouvement bien vif permet l’explosion attendue. Quelques accros dans les rangs du Netherlands Philharmonic Orchestra, pour qui a l’oreille particulièrement sensible, n’empêchent jamais la cohésion des musiciens avec leur directeur. En prenant la parole avant chaque pièce pour raconter l’œuvre, Lorenzo Viotti casse gentiment les codes du concert classique comme lors du premier bis. « On vous a réservé une petite surprise » annonce-t-il avant de se placer parmi les membres de son orchestre debout pour entamer l’Ave verum corpus, œuvre chorale de Mozart, au grand étonnement des spectateurs. Prouvant qu’un orchestre peut aussi très bien chanter, ils ont de nouveau enthousiasmé avec la Danse hongroise No. 1 de Brahms, deuxième bis plus traditionnel. Lorenzo Viotti que l’on présente volontiers comme un musicien 2.0 reste avant tout un chef à suivre de près.

Nederlands Philharmonisch Orkest Lorenzo Viotti Concertgebouw © Eduardus Lee

 * Permettons-nous au passage de signaler que le TCE ayant dématérialisé le programme de salle, il n’est plus possible de suivre les textes dans la pénombre lors du concert. La lumière des smartphones n’étant absolument pas souhaitable dans la salle, suggérons au TCE de faire une exception pour les concerts vocaux, en imprimant les quelques feuilles des textes traduits.