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Jakub Józef Orliński, Orfeo esthète en son Elysée

Le mélomane parisien est bien heureux d’entamer la nouvelle saison au Théâtre des Champs-Elysées qui l’accueille pourtant en larmes. C’est que le deuil a frappé ! mais porté par Jakub Józef Orliński, il a de quoi séduire. Explications…  

Orfeo ed Euridice / Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet

Le Théâtre des Champs-Elysées porte un nom prédestiné pour accueillir Orphée et son cortège de mythes. L’acoustique de la salle qui s’est autrefois prêtée à un scandale resté dans toutes les mémoires, est idéale pour la musique baroque et pour les voix de contreténors. Mercredi 21 septembre 2022, les spectateurs ont pris le chemin vers l’Olympe pour assister à la première scénique dans un opéra à Paris de Jakub Józef Orliński. Le jeune artiste déjà star a revêtu le costume sombre du deuil pour interpréter le héros inconsolable de l’Orfeo ed Euridice de Gluck dans la reprise bienvenue d’une mise en scène de Robert Carsen.

En plein deuil, Robert Carsen plonge dans le noir

Orfeo ed Euridice / Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet

Créée à Chicago et vue en mai 2018 ici même au Théâtre des Champs-Elysées, la production s’inscrit dans la veine outrenoir de l’homme de théâtre où le dénuement de la scène recouverte par les ocres sombres de la terre fait ressortir les passions. A l’animalité d’Elektra (Opéra Bastille) et l’exacerbation d’Iphigénie en Tauride (TCE) répond le désespoir d’Orfeo dans les scènes d’enterrement dépouillées très émouvantes. La sobriété des costumes évoque des terres arides qu’un décor très simple symbolise dans un éclairage à la fois subtil et profond. Entre réalisme et épure esthétique, plusieurs images fortes restent avec une action théâtrale partagée par l’Orchestre et les acteurs aux mouvements parfois gauches. Après sa remarquable Iphigénie, Thomas Hengelbrock à la tête du Balthasar-Neumann-Chor & Ensemble revient à Gluck sans toutefois retrouver le niveau d’une telle réussite. Avec ses attaques volontaires et des sonorités tranchées, l’orchestre reste un formidable vecteur de sensations et pourtant, dans les parties plus élégiaques, le chef n’obtient pas toutes les émotions attendues d’une partition par ailleurs parfaitement maitrisée. Réserve vénielle qui ne concerne pas le chœur, passionnant de bout en bout.

Des timbres de collection pour l’Orfeo 2022

Orfeo ed Euridice (Jakub Józef Orliński) / Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet

Répondant à l’esthétisme raffiné de la mise en scène, l’homogénéité de la distribution vocale expose des timbres de toute beauté. Annoncée souffrante, la soprano Regula Mühlemann dans le rôle d’Euridice séduit malgré un léger voile et une gène qui l’empêchent d’être en pleine possession de son instrument. Nul doute que les spectateurs des prochaines représentations apprécieront la prestation aboutie que l’on devine déjà. Elena Galitskaya brille facilement dans le court rôle d’Amore avec une jolie truculence. Pour ses débuts sur scène très attendus à Paris, Jakub Józef Orliński réussit son entrée dans la cour des grands Orfeo. Aussi célèbre soit-il, le chef-d’œuvre de Gluck n’en présente pas moins quelques difficultés pour les contreténors, à commencer par les graves. Le jeune artiste de 31 ans n’a aucun problème de diapason et survole la partition avec une élégance qui gagnera en naturel. Orliński possède une voix phonogénique à la pure beauté qui le place aujourd’hui parmi les artistes les plus en vue. Les mélomanes trop pointus pourraient regretter un manque de couleurs (reproche que l’on a fait à Andreas Scholl en son temps) mais comment rester insensible aux charmes de cette ligne de chant et au magnétisme que dégage le timbre envoutant ? Plusieurs expressions passent sur le visage délicat de l’acteur encore hésitant avec son corps que l’on sait plus habitué au breakdance. Entre Olympe et Champs-Elysées, le TCE inaugure la saison 2022-2023 avec grâce. Prions dieux, divos et divas de nous garder toute l’année avec eux dans ces sphères !

Orfeo ed Euridice (Jakub Józef Orliński) / Théâtre des Champs-Elysées © Vincent Pontet