Classique c'est cool

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Matthias Goerne sous le ciel étoilé de Menton

Le temps d’un été le mélomane se mue en festivalier. Troquant son habit de soirée pour la chemise en lin, il parcourt l’Europe à la recherche du meilleur spot de musique classique. Etape obligée, le Festival de Menton surfe sur la vague. Explications…

©Catherine Filliol - Ville de Menton.

Les festivals de musique ont éclos dans les années 80, offrant un bouquet aux multiples couleurs aux mélomanes voyageurs et aux amateurs de culture qui n’attendaient que cela pour redécouvrir leur patrimoine en musique. Avant cette explosion en feu d’artifice, les amateurs de classique avaient déjà leurs habitudes en Europe ou en France avec des nuits d’été à Aix ou à Orange. Alors que les Chorégies peuvent revendiquer le titre de plus vieille manifestation culturelle, d’autres récoltent les fruits d’une maturité discrète. Le Festival de Menton (la jolie capitale du citron) est septuagénaire. Ce samedi 13 août 2022, il a fermé les portes de sa soixante-treizième édition avec un concert de haute tenue. Sur parvis de la Basilique Saint-Michel Archange, le grand baryton allemand Matthias Goerne accompagné de la Camerata RCO a envouté les spectateurs avec un programme exigeant.

Les rois d’Amsterdam au pays du citron

©Catherine Filliol - Ville de Menton

Le plus grand Liedersänger actuel est, comme son statut le laisse deviner, un artiste très sollicité. Dans le cadre d’une saison brillamment conçue par Paul Emmanuel Thomas, le concert déprogrammé de 2020 a pu se tenir dans des conditions proches de l’idéal et dans cette acoustique remarquable qui fait la réputation de Menton. La façade de la basilique en toile de fond et les murs d’escaliers encadrant la place forment une cage naturelle où le son enveloppe les mélomanes placés sur le parvis et sur les marches aménagées en loges comme au théâtre. Cinq membres de l’ensemble ont ouvert le concert avec le Quintette avec clarinette de Brahms. Le premier mouvement pris avec délicatesse et sans à-coup dans les attaques est pourtant vivant. Cette élégance plutôt viennoise est servie par des musiciens aussi exceptionnels en solistes qu’au sein de leur prestigieuse formation. Il convient sans doute de rappeler ici que la Camerata RCO est une formation réduite issue du Koninklijk Concertgebouworkest d’Amsterdam, autrement dit l’un des trois meilleurs orchestres au monde. Une mélancolie délicate berce les autres mouvements d’une œuvre interprétée comme un tout. La musique se suffisant à elle-même, la pureté d’un son qui s’envole dans le ciel étoilé de Menton est privilégiée sur un sous-texte théâtral quasi absent. Les Bagatelles de Dvořák, autre pièce instrumentale du programme, bénéficient de la même élégance sensiblement détachée.

Dans l’intimité de Matthias Goerne et de ses amis

©Catherine Filliol-Ville de Menton.

Profonde, suave et veloutée, la voix unique de Matthias Goerne agit comme un baume dans les Lieder de Schubert, Wolf, Schumann et Brahms. Habituellement entendues avec un piano, les pièces ont été arrangées pour onze instrumentistes par Alexander Schmalcz, accompagnateur complice du baryton. En proposant un entre-deux, le pianiste renouvelle l’expérience du récital. L’intimité du piano n’est pas noyée par l’orchestre qui garde des intonations chambristes. Pour totalement s’immerger dans les textes, il manque malheureusement un programme avec une traduction qui aurait permis de pleinement apprécier l’art légendaire de Goerne. L’on devine alors le caractère champêtre du texte de Frühlingsglaube ou celui plus recueilli de Hoffnung de Schubert mais l’on regrette de ne pouvoir goûter à la saveur des deux Wolf (Peregrina I & II), compositeur trop rarement interprété sur scène par l’artiste. Matthias Goerne choisit son répertoire avec une exigence qui rend chacune de ses prestations encore plus remarquable. La technique vocale légèrement prise à défaut par un ou deux aigus ce soir reste souveraine et permet des demi-teintes qui maintiennent l’auditeur en suspension dans les airs. Le Festival de Menton clot sa saison avec un événement intime et pourtant exceptionnel. Après cette expérience unique sur le parvis de la basilique, le mélomane venu en amateur repart conquis et se jure de revenir en habitué cette fois et comme un ami…