Krzysztof Urbański chef impérial du Kissinger Sommer
Les journées des festivaliers se suivent et pourraient se ressembler à Bad Kissingen. Après un concerto de piano, les mélomanes sont invités à entendre un concerto pour piano ! Mais le Kissinger Sommer sait ménager les surprises. Explications…
Les soirées d’exceptions se suivent à Bad Kissingen sans pour autant se ressembler. Après un grand moment d’émotion avec Daniil Trifonov la veille, la dernière soirée du Kissinger Sommer regroupait une affiche en feu d’artifice. Ce 17 juillet 2022, dans la somptueuse Max-Littmann-Saal, les festivaliers allaient pouvoir applaudir le jeune pianiste de 27 ans Jan Lisiecki, l’étoile montante des chefs Krzysztof Urbański et le Bamberger Symphoniker, venu en voisin. L’orchestre s’illustre presque chaque année dans la jolie ville thermale. Avec un programme regroupant le deuxième concerto pour piano de Chopin et la Symphonie No. 4 de Tchaikovsky, il allait pouvoir briller une fois de plus. Grâce à des tournées régulières et une discographie abondante, la phalange est bien connue des mélomanes européens. L’histoire a retenu le nom de Joseph Keilberth, son premier chef, comme celui plus récent de Jonathan Nott à qui l’on doit de remarquables enregistrements des symphonies de Mahler.
La belle jeunesse de Jan Lisiecki en pleine maîtrise
A Bad Kissingen, Jakub Hrůša, le titulaire actuel, a laissé le podium à Krzysztof Urbański, autre baguette réputée. Le chef polonais a ouvert le concert avec sa propre transcription pour orchestre d’une œuvre de Grażyna Bacewicz. Le Scherzo composé à l’origine pour piano surprend par sa brièveté. D’à peine 4 minutes, le mouvement Vivace a le mérite de faire rutiler les couleurs d’un orchestre chatoyant. Dans les premières notes du concerto de Chopin, Urbański, dans une économie de geste, dose les alanguissements romantiques pour livrer une interprétation d’aujourd’hui. Dans une partition qu’il connait bien pour l’avoir jouée dès son plus jeune âge, Jan Lisiecki lui emboite le pas. Le pianiste canadien a été révélé avec un enregistrement des deux concertos paru alors qu’il n’avait que 15 ans. La démonstration est toujours impressionnante de virtuosité sans pour autant poser des enjeux. Le supplément d’âme qui nous avait fait chaviré la veille manque à Lisiecki qui s’applique à exalter cette musique sans vraiment la faire ressentir ou la vivre de l’intérieur. Alors qu’on attend à être suspendu dans l’éther, le deuxième mouvement Larghetto semble même un peu brut. L’on admire un très beau piano plus technique que sensible, un Chopin plus terrestre que céleste. Le troisième mouvement sied à l’artiste qui extériorise une belle folie avec une esthétique de l’apparence qui ne s’embarrasse pas des profondeurs de l’intime. Les notes s’envolent avec épicurisme et une beauté du son recherchée. L’interprétation de Jan Lisiecki est digne d’éloge même si l’on avoue préférer les visions plus tourmentées.
Joyeux Krzysztof Urbański et le plaisir communicatif
Complice régulier, Krzysztof Urbański accompagne l’artiste avec connivence. C’est toutefois dans la symphonie de Tchaikovsky qu’il se révèle et qu’il enflamme son public. Le chef possède un bras et un beau mouvement avec une baguette tenue haut. La conduite délicate de l’orchestre se remarque particulièrement dans des pianissimos tenus sur le fil qui tiennent comme par miracle. Le premier mouvement est flamboyant mais pas clinquant avec quelques moments suspendus où l’orchestre se montre remarquable. Les pupitres s’illustrent avec de la personnalité (comme la bassoniste Rie Koyama) et un son jamais dénaturé par le chef qui n'abuse pas de décibels. Le deuxième mouvement pris particulièrement legato envoûte jusqu’à faire fondre le mélomane de plaisir dans un bel hédonisme sonore. Dans le troisième mouvement Scherzo (avec les fameux pizzicati), l’on ressent la même volonté de maintenir la fluidité de la musique avec une grande maitrise de l’architecture. Mais c’est dans le dernier mouvement que la clarté et la netteté des tutti emportent avec de belles phrases romantiques. Virevoltant, Krzysztof Urbański prend un réel plaisir à diriger et semble même s’amuser derrière son pupitre (où il n’y a pas de partition). Rendu festif et avec le respect de la musique, le concert s’est transformé en événement unique où l’excellence l’a disputé à la joie de partager ce moment. En somme, un digne concert de clôture pour un très grand festival !