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L’hommage de Dresde à Heinrich Schütz

Le mélomane et l’amateur d’art ont toutes les raisons du monde pour retourner à Dresde, ville qui respire la culture musicale. Weber, Schumann, Wagner sont quelques grands noms bien connus ici sans oublier l’illustre Heinrich Schütz. Reportage…

En cette saison anniversaire, la dynamique et superbe ville de Dresde se devait d’honorer une des figures majeures de la musique baroque, Heinrich Schütz. Souvent surnommé le Monteverdi allemand, le compositeur a passé une bonne partie de sa carrière dans la capitale de la Saxe où il meurt, le 6 novembre 1672. Il n’est de meilleur hommage à rendre que de jouer et d’entendre sa musique. Un premier festival vient d’avoir lieu ici-même du 2 au 8 mai 2022 avant une nouvelle série de concerts programmée à Dresde du 7 au 16 octobre. D’autres festivités sont également prévues un peu partout en Allemagne du 8 octobre au 6 novembre 2022, dans les différents lieux qui sont attachés à son histoire.

Heinrich Schütz, si loin, si proche

Heinrich Schütz Musikfest Dresden, Schlosskapelle | Foto: Mathias Marx

En 1672, une bonne partie de l’Europe a pleuré Heinrich Schütz. 350 ans plus tard, il est heureux de s’offrir une plongée complète dans l’oeuvre d’un grand compositeur allemand qui à l’instar de nombreuses personnalités de la musique classique de Dresde, reste encore à découvrir de l’autre côté du Rhin. Malgré une discographie abondante, il faut reconnaître que les programmateurs français proposent rarement à l’affiche de leurs spectacles ses pièces religieuses pourtant empreintes de réelles beautés. Né un siècle avant Bach en 1585, Schütz a composé plus de 500 œuvres, numérotées avec une référence au catalogue SWV (le Schütz-Werke-Verzeichnis édité par le musicologue Werner Bittinger, en 1960), comme Bach et son BWV. Sa musique, représentative du premier baroque allemand, peut facilement être qualifiée de révolutionnaire car Schütz ayant été éduqué à la musique en Italie auprès de Giovanni Gabrieli, marque une rupture certaine avec l’esthétique Renaissance d’alors. Même si la Guerre de Trente ans a mis un frein au développement des Arts en Allemagne, son inspiration ne se tarit pas et notre compositeur s’intéresse même à ce nouveau genre, l’opéra. Malheureusement, la partition de Dafne a été perdue, partie en fumée lors de l’incendie de la bibliothèque de Dresde en 1760. De toute une longue vie au service de la musique restent fort heureusement de nombreux témoignages et autant de partitions.

Monsieur Schütz de la Schlosskapelle de la Residenzschloss

DRS Residenzschloss Kleiner Schlosshof Schütz-Konzert ©Christoph Münch

Le premier concert auquel nous avons assisté dans le cadre du Heinrich Schütz Musikfest a été donné le 6 mai 2022, dans la petite cour du château de la Résidence (la Kleiner Schlosshof in Residenzschloss) débarrassée de ses touristes qui quelques heures avant achetaient encore leur ticket d’entrée pour visiter les salles d’un des plus importants musées d’Europe. Les spectateurs se trouvaient à quelques mètres de la Chapelle (réouverte pour l’occasion) où Schütz a sévi de nombreuses années et qui a servi de cadre à un autre concert, un peu plus tôt dans la journée. L’acoustique étonnante de la cour rappelle la résonnance d’une église, lieu propice au programme de pièces extraites des Psalmen Davids, Symphoniae sacrae et autres Geistliche Konzerte et Gesänge interprétées par l’ensemble vocal Amarcordplus accompagné par Cappella Sagittariana Dresden avec Hans Christian Martin à leur tête. Les chanteurs qui se sont également illustrés individuellement, ont des timbres marqués ce qui donne un relief particulier aux ensembles dans un latin à la prononciation inhabituelle. L’orchestre historiquement informé et grand spécialiste de l’œuvre de Schütz possède des cuivres qui sonnent suffisamment juste pour être remarqués.

Schütz compositeur de musique universelle

Kreuzchorvesper mit dem Dresdner Kreuzchor (c) Grit Dörre

La Kreuzkirche de Dresde a accueilli le même ensemble le lendemain lors d’un concert atypique pour les quelques spectateurs peu familiers à assister à un office chanté. Interprétées par le Dresdner Kreuzchor depuis 1371, les Kreuzchorvesper du samedi particulièrement élaborées, ont fait l'objet d'une grande attention à travers les âges. Comme un rituel exécuté depuis des siècles, l’arrivée des jeunes chanteurs qui entrent par classe d’âge est saisissante. Dirigé par Roderich Kreile, Cantor de l‘église de la Croix, le chœur d’enfants chante avec une grâce céleste les œuvres de Schütz d’abord a capella puis accompagné par la Cappella Sagittariana. Incroyable voyage dans le temps et dans l’espace, la musique chorale est ponctuée par de brillantes interventions à l’orgue. Holger Gehring, 25ème organiste de la Kreuzkirche a joué des œuvres de Muffat sur un orgue magnifique signé des facteurs Dresdois Jehmlich, connus internationalement pour leur grande et belle maîtrise de cet instrument hors norme. L’intervention en allemand du pasteur pour son prêche est naturelle comme la reprise du chœur final par l’ensemble de l’assemblée. Ce qui extraordinaire en revanche, c’est de constater à quel point Schütz appartient au patrimoine des habitants de Dresde qui chantent son œuvre avec une ferveur accoutumée. Peu importe alors la religion des participants, ni les applaudissements ni les bis ne sont nécessaires lorsque la beauté universelle de la musique suffit à réunir les âmes.




Schütz en quelques dates (source : Markus Springer, Sonntagsblatt Thema - Heinrich Schütz) :

Heinrich Schütz (c) HRC

8 octobre 1585 : naissance à Köstritz près de Gera de parents aubergistes

1590 : La famille Schütz déménage à Weissenfels pour prendre la gérance d’une nouvelle auberge

1599 : Comme enfant de chœur à la cour du landgrave Moritz, le petit Heinrich montre des prédispositions pour la musique et commence sa formation musicale au Collegium Mauritianum de Cassel

1607 : Inscription à la faculté de droit de l'Université de Marburg

1609 : Début de son séjour à Venise où il étudie auprès de Giovanni Gabrieli

1610 : Galileo Galilei présente à Venise une nouvelle longue-vue qui permet d'observer le ciel avec précision ; Heinrich Schütz est témoin de la scène

1611 : Les Madrigaux italiens sont la première œuvre de Heinrich Schütz à être publiée et imprimée à Venise

1612 : Mort de Giovanni Gabrieli. Schütz retourne à Cassel

1613 : Schütz devient le deuxième organiste de la cour de Cassel

1614 : Premier contact avec la cour de Dresde en tant qu'organiste lors des festivités de baptême du prince August

1615 : Nouvel engagement à la demande du prince-électeur Johann Georg 1er comme musicien de cour à Dresde

1617 : Schütz est nommé maître de musique de la cour à Dresde. Visite impériale à l'occasion du centenaire de la Réforme

1618 : Défenestration de Prague, début de la guerre de Trente Ans

1619 : Le 1er juin, Heinrich Schütz épouse Magdalena Wildeck. La première publication des Psalmen Davids est datée du même jour.

1621 : Naissance de leur première fille Anna Justina (qui décède en 1638)

1623 : Naissance de leur deuxième fille Euphrosyne (qui décède en 1655)

1625 : Décès de Magdalena Schütz à l'âge de 24 ans seulement. Ecriture et composition du Klaglied

1627 : Représentation de la pastorale Dafne à l'occasion du mariage de la princesse Sophie Eleonore au château Hartenfels de Torgau

1628-29 : Deuxième séjour à Venise et peut-être dans d'autres villes du nord de l'Italie, possible rencontre avec Claudio Monteverdi, publication de la première partie des Symphoniae sacrae

1632 : Les Suédois occupent le bastion catholique de Munich ainsi que le sud de l’Allemagne. Le roi Gustave Adolphe meurt à la bataille de Lützen.

1633-35 : Schütz est maître de la chapelle royale du Danemark. Il dirige la musique pour le mariage du prince héritier danois Christian avec la princesse saxonne Magdalena Sibylla à Copenhague.

1634 : Exécution de Wallenstein à Eger. Bataille de Nördlingen

1635 : A la mort de Heinrich Posthumus Reuss, seigneur de Gera, Greiz et Lobenstein, Schütz compose la musique funèbre les Musikalische Exequien

1641 : Schütz fait des propositions au prince électeur de Saxe pour réorganiser la chapelle de la cour en très mauvais état à cause de la guerre de Trente Ans

1642-44 : Deuxième voyage au Danemark à l'occasion du double mariage des filles jumelles du roi. Sur le chemin du retour, séjour prolongé à Brunswick et Wolfenbüttel.

1648 : Paix de Westphalie, fin de la guerre de Trente Ans. Publication de la Geistlichen Chormusik que Schütz dédie à la ville de Leipzig et au Thomanerchor.

1650 : Parution de la troisième partie des Symphoniae Sacrae

1651 : Schütz demande en vain au prince électeur de lui accorder la retraite et acquiert une maison à Weissenfels.

1656 : Johann Georg Ier de Saxe meurt à Dresde. Son fils et successeur Johann Georg II accorde à Heinrich Schütz le droit de s'installer à Weissenfels et de se rendre encore sporadiquement à Dresde

1657 : Publication des Zwölf geistlichen Gesänge par Christoph Kittel

1663 : Organisation de la musique de cour à Zeitz pour le duc Maurice de Saxe-Zeitz

1666 : A Pâques, première représentation des trois Passions de Schütz d'après Matthieu, Luc et Jean dans l'église impériale de Dresde

1671 : Dernière grande œuvre de Schütz qui achève à Weissenfels la composition d’un Schwanengesang, sur le psaume 119

1672 : Heinrich Schütz meurt à Dresde le 6 novembre. Sur ordre du prince électeur, il est inhumé dans un caveau de la Frauenkirche