Classique c'est cool

View Original

Pâles reflets de lune pour la Rusalka du Semperoper de Dresde

Le Semperoper est une salle d’opéra majeure en Europe où le mélomane se précipite dès qu’il en a l’opportunité. La première d’un chef-d’œuvre du répertoire tchèque lui offre une nouvelle occasion qu’il ne saurait rater malgré l’absence de lune. Explications…

Olesya Golovneva (Rusalka) © Semperoper Dresden/Ludwig Olah

Comme un cœur battant, les nouvelles productions rythment la vie d’un théâtre. Lorsqu’il s’agit d’une maison d’opéra aussi prestigieuse que le Semperoper de Dresde, la première d’un spectacle suscite toujours beaucoup d’attentes. Succédant à une production de Stefan Herheim qui n’avait pas vraiment trouvé son public, ce 7 mai 2022, une nouvelle mise en scène de Rusalka d’Antonín Dvořák a été dévoilée au public dresdois et également aux membres de la presse internationale. Pour faire honneur au chef-d’œuvre de l’opéra tchèque, l’illustre institution saxonne a réuni quelques grands noms de la planète lyrique comme la cheffe d’orchestre Joana Mallwitz, le metteur en scène Christof Loy et une solide distribution. Tous les artistes ne semblent pas avoir montré le même engagement pour mener à bien la complète réussite du spectacle.

De la Petite Sirène d’Andersen à la petite danseuse de Degas

Olesya Golovneva (Rusalka), Pavel Černoch (Der Prinz) © Semperoper Dresden/Ludwig Olah

Rusalka est une féérie, qu’on le veuille ou non ! Dans le livret de Jaroslav Kvapil qui s’appuie sur les contes de Karel Jaromír Erben et de Božena Němcová, l’on retrouve des éléments qui évoquent La Petite Sirène d’Andersen ou la légende d’Ondine. Avec sa Psychanalyse des contes de fées, Bettelheim a ouvert bien des portes aux metteurs en scène inspirés qui ont souvent développé de belles idées. Comédienne convaincante et impliquée, Olesya Golovneva est actuellement l’une des meilleures titulaires du rôle-titre. La soprano possède une voix lumineuse aux aigus faciles et un volume conséquent qui passe aisément les rutilances de l’orchestre (la magnifique Sächsische Staatskapelle Dresden). Elle a apparemment suivi des cours de danse classique qui lui permettent de se tenir sur pointes. Dans la mise en scène de Christof Loy, le rideau s’ouvre sur un lit de convalescence où l’on trouve Rusalka en costume de ballerine, le pied bandé. Plongée dans un décor unique de salle de spectacle envahie par une coulée de lave, l’héroïne est désormais une artiste empêchée, l’Esprit du lac (le père de Rusalka), le directeur d’un théâtre désespérément clos et la sorcière Ježibaba, la tenancière de la caisse avec son guichet de vente sur le côté. L’on aurait aimé adhérer à cette nouvelle histoire si elle était tenue.

Ježibaba picole en douce tandis que Rusalka prend l’eau

Christa Mayer (Die Hexe), Olesya Golovneva (Rusalka) © Semperoper Dresden/Ludwig Olah

Christof Loy semble avoir perdu toute inspiration dès l’acte II avec le personnage du Prince dont il ne fait pas grand-chose, avant un dernier acte dramatiquement vide. L’utilisation récurrente de personnages aux visages blancs grimés en Charlots n’apporte rien si ce n’est un habillage inutile qui pollue la scène. Fort heureusement, la distribution vocale très investie provoque souvent l’émotion et sauve le spectacle de l’ennui poli. Dans le rôle du Prince qui est sa signature, il est heureux de retrouver l’élégant Pavel Černoch (déjà entendu à Paris en 2015). Pour ses débuts au Semperoper, le ténor tchèque maîtrise parfaitement la prosodie et la ligne vocale d’un rôle tendu avec la direction sonore de Joana Mallwitz qui ne l’invite pas forcément à la nuance. La cheffe (future directrice musicale du Konzerthausorchester Berlin) empoigne la partition et dirige avec fougue (et pour la première fois) la Staatskapelle Dresden aux brillantes sonorités. La grande voix un peu droite d’Alexandros Stavrakakis (l’Esprit du lac) résonne facilement comme celle de Christa Mayer. Dépouillée de ces artifices de sorcière, Ježibaba, une flasque d’alcool à la main, parvient toutefois à impressionner par ses seules qualités vocales. Le reste de la distribution est digne de la grande maison d’opéra européenne qu’est le Semperoper avec Elena Guseva (bien chantante et suffisamment vulgaire dans le rôle de la Princesse étrangère) et Sebastian Wartig (Le garde-chasse) ou Simeon Esper qui se font facilement remarquer dans des rôles secondaires. La célèbre « romance à la lune » a bien des éclats malgré une production terne qui n’a pas entamé l’enthousiasme du public. Les spectateurs ont réservé une belle ovation à la fin de cette première représentation sans doute réservée aux chanteurs et au magnifique chef-d’œuvre.