Classique c'est cool

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Elektra dans ses murs au Semperoper de Dresde

Le parcours du mélomane est ponctuée d’étapes obligées. Le wagnérien ne passera pas une vie sans aller à Bayreuth, le straussien sans assister à une représentation d’Elektra, au Semperoper de Dresde dans le lieu même de sa création. Explications…

Elektra © Semperoper Dresden/Matthias Creutziger

La fureur, les cris et le sang jaillissent régulièrement entre les murs du Semperoper de Dresde qui, depuis sa création le 25 janvier 1909, programme régulièrement Elektra, le grand chef-d’œuvre de Richard Strauss. Nommée à l’époque Königliches Opernhaus Dresden, la salle a vu un bon nombre d’interprètes de prestige se déchirer sur scène, noyés par une musique déferlante. Ernestine Schumann-Heink, la créatrice du rôle de Klytämnestra déclarait à ce propos que la partition vocale ressemblait à un mélange tonitruant de gémissements, de plaintes et de soupirs. Et pourtant, l’œuvre fascine et attire toujours autant comme ce dimanche 8 mai 2022 où les spectateurs sont passés avec enthousiasme du soleil éclatant de la Theaterplatz de Dresde à la noirceur de la mise en scène de Barbara Frey.

Justice sera rendue à Elektra et à Strauss

Elektra © Semperoper Dresden/Matthias Creutziger

Créée en 2014, la sage production a le mérite de suivre le livret et les mots de Hugo von Hofmannsthal sans jamais dénaturer le propos. Le décor austère évoque la salle délabrée d’un Palais de Justice en réfection où sur le fronton on peut lire une devise signifiante : « Justitia Fundamentum Regnorum » (la justice est le fondement des royaumes). Les costumes années 40 installent sobrement une atmosphère pesante. La tenue de soirée d’Elektra, évocation des derniers fastes d’une époque révolue, contraste avec la sobriété abrupte des autres vêtements. Dans le rôle, Lise Lindstrom possède les notes et la technique nécessaires pour affronter la partition inhumaine de Strauss. Contrairement à celui d’Allison Oakes (impeccable Chrysothemis), le timbre de la soprano américaine n’est pas des plus enchanteurs mais les aigus dardés sont bien en place pour créer la sensation. Seul son grand air « Allein! Weh, Ganz Allein! » aurait gagné à être chanté à l’avant-scène où la projection aurait encore plus impressionné. La comédienne répond avec talent à la mise en scène de Barbara Frey qui fait corps avec son personnage principal, la faisant réagir à chaque sursaut de l’orchestre.

Une partition qui coule dans les veines

Markus Marquardt (Orest), Iréne Theorin (Elektra), Kinder der Komparserie) © Matthias Creutziger

Dans la fosse, la Sächsische Staatskapelle Dresden sous la direction accomplie de Christoph Gedschold rugit et enflamme la scène. Entendre la rutilance d’un des plus beaux orchestres d’Europe qui s’enveloppe dans une orgie de sonorités provoque une sensation assez incroyable. La formation possède cette musique dans le sang comme l'interprète de Klytämnestra. Doris Soffel est avec Waltraud Meier, la grande titulaire du rôle qu’elle incarne avec évidence jusque dans les rires tellement vécus qu’ils nous privent de la célèbre réplique "Ach!... Lichter!... Mehr Lichter!". Pas vraiment aidé par un physique passe-partout que n’avantage pas le costume impersonnel, l’Orest de Markus Marquardt paraît routinier avec une voix wagnérienne qui remplit son office. La distribution ne souffre cependant d’aucune erreur et permet à chacun d’exister comme Jürgen Müller (Aegisth  bien chantant) ou Tilmann Rönnebeck (Pfleger des Orest) qui se font particulièrement remarquer. Le meurtre final reste sobre sans effluve de sang et pourtant la dernière image d’une Elektra paralysée, incapable d’effectuer sa danse de mort est saisissante. Des cris, des larmes et de la rage, le ton était donné pour que nous puissions revivre la tragédie d’Elektra telle que l’a présentée Richard Strauss ici même. Plus de 100 ans plus tard, les émotions fortes étaient toujours bien au rendez-vous !