A l’Opéra de Liège, tout est presque Mignon !
Petit pays, grande tradition musicale, la Belgique possède des scènes lyriques de premier plan où il se passe toujours quelque chose comme à Liège qui a programmé le rare Mignon d’Ambroise Thomas. Après l’opéra Hamlet, être ou ne pas être un succès ? Explications…
A Liège, la programmation de l’Opéra Royal de Wallonie est assez exemplaire. Les grands titres attendus côtoient des œuvres plus rares mais non moins intéressantes. Mignon d’Ambroise Thomas fait partie de ces opéras que l’on ne cesse de redécouvrir comme Hamlet, l’autre chef-d’œuvre du compositeur français. Après avoir séduit des générations de grandes voix, l’oeuvre adaptée du roman de Goethe Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister a disparu des affiches, certainement passée de mode ou faute d’artistes suffisamment convaincants pour la défendre. Depuis, l’opéra vient régulièrement se rappeler au bon souvenir des mélomanes (à Compiègne en 1992 ou à Toulouse en 2001) ravis d’entendre les airs comme les fameux « Connais-tu le pays… » ou « Je suis Titania la blonde… ». Liège a eu l’excellente idée de construire sa production sur une distribution idéale, découverte ce 1er avril 2022.
Connais-tu le pays où renaît l’Ambroise Thomas ?
A la tête de l’Orchestre et des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, Frédéric Chaslin aborde la partition avec franchise et n’essaie pas de tirer autre chose de cette musique très marquée XIXème siècle. Les contrastes sont saisissants et les moments plus intimes assez charmants. Le chef réserve la meilleure table à son plateau vocal qui occupe la partition en rivalisant de beautés. Philippe Talbot est un impeccable Wilhelm Meister. La voix toujours bien conduite fait des merveilles notamment dans l’air « Adieu Mignon » chanté avec naturel et beaucoup de charme. On retrouve la même évidence chez Jodie Devos. La soprano trouve avec Philine un nouveau rôle à la hauteur de son talent avec en plus, une large gamme de comédie où l’artiste excelle. Alors qu’il suffirait de suivre la partition pour déchaîner la foule de mélomanes, la virtuosité vocale qui n’est jamais purement démonstrative gagne une profondeur avec un aigu étincelant et rond. Personnage central même s’il n’a pas grand-chose à jouer, Lothario est joliment incarné par Jean Teitgen. La basse convainc facilement même si inexplicablement, la voix connaît un petit raté au dernier acte. Stéphanie D’Oustrac est une artiste admirable qui n’appelle que les éloges lorsqu’elle trouve un rôle à sa mesure. Complètement desservie par la mise en scène, la psychologie de Mignon semble complètement échapper à la tragédienne, toujours passionnante ailleurs. Même vocalement, alors qu’elle impressionne avec des aigus dardés dans le dernier acte, elle ne trouve pas ses marques dans le fameux air « Connais-tu le pays… » oscillant sans cesse entre candeur et hystérie.
Même Mignon, pas de Paradis pour les enfants
Comme Mélisande, le personnage de Mignon doit rester suffisamment énigmatique pour susciter l’émotion. En plaçant ses héros dans le décor d’une scène, Vincent Boussard trouve l’idée juste du théâtre dans le théâtre mais l’exploite maladroitement préférant le grand-guignol et l’exacerbation des sentiments à la subtilité. Alors que l’univers des Enfants du Paradis et leur poésie (comme le personnage de Jarno, forain exploiteur d’enfants) semble inspirer le décor de Vincent Lemaire, le metteur en scène gâche son spectacle avec des costumes iconoclastes (pourtant joliment dessinés par Clara Peluffo Valentini) qui convoquent jusqu’à la figure du führer. L’entre-deux ou la parodie ne trouve jamais le ton juste et n’aide pas l’œuvre. En choisissant une version avec des dialogues parlés, les personnages de Frédéric (ici interprété par un ténor et non une mezzo) et de Laërte réclament des comédiens chevronnés que Geoffrey Degives et Jérémy Duffau ne sont pas malgré une réelle présence sur scène. Dommage car Mignon fait partie de ces opéras qui nécessitent une vraie vision pour s’épanouir sur scène. Avec une distribution qui pourrait se trouver sur la pochette d’un CD de référence, l’Opéra Royal de Wallonie avançait des atouts indéniables qui n’ont été exploités qu’en partie, hélas !