Une Platée de folie gagne le Capitole de Toulouse
Les mélomanes se précipitent toujours avec enthousiasme à Toulouse car il ne fait aucun doute que le Théâtre du Capitole fait partie des premières scènes de France et lorsque la folie de Rameau s’y invite, c’est la fête à la grenouille ! Explications…
Platée, la célèbre grenouille héroïne de l’opéra éponyme de Jean-Philippe Rameau fait un saut remarqué à Toulouse. La nouvelle production signée Corinne et Gilles Benizio alias Shirley & Dino qui aurait dû émerger en 2020 a enfin été accueillie au Théâtre du Capitole, ce samedi 19 mars 2022. En réunissant autour de lui la fine fleur du chant français, Hervé Niquet est non seulement le roi des ondes mais aussi un chef trois étoiles qui a cuisiné une partition raccourcie à sa sauce. Les puristes auront certes des raisons d’être brouillés. Ils seront les seuls tant l’enthousiasme des spectateurs a éclaboussé la salle. Avec seulement cinq dates dans la ville rose quasi complètes, pour avoir la chance d’entendre les mêmes coassements, les spectateurs voisins des bassins versaillais doivent se précipiter à l’Opéra Royal pour une reprise attendue du 18 au 22 mai 2022.
Le chef commande le meilleur de la grenouille
Platée est sans doute le chef-d’œuvre de Rameau le mieux adapté à la scène et le plus joué. Avec la production iconique de Laurent Pelly au Palais Garnier souvent repise depuis 1999, d’excellentes mises en scène ont pu être vues dans le monde comme la récente réussite de Robert Carsen qui a fait les beaux soirs de la Salle Favart. La partition, la musique, les airs et l’histoire à la fois drôle et cruelle, tout concourt au succès. En lisant les noms sur l’affiche toulousaine, les mélomanes sont rentrés plutôt confiants dans la magnifique salle sans se douter une seconde des surprises qui les attendaient. De la fosse, Hervé Niquet plus facétieux que jamais s’est adressé au public pour expliquer avec un sérieux de circonstance qu’à l’époque de Rameau, le prologue n’était donné qu’en présence du Roi. « Y-a-t’il un roi dans la salle ? Non ! Et bien, je vais couper le prologue, ça ira plus vite ! ». Introduction détonante qui n’est que le prélude à un spectacle de folie où sous la conduite du chef despote tout partira à vau-l’eau. Invectives des artistes qui menacent, entre autres, de grève, interventions du machiniste et du metteur en scène (Gilles Benizio qui fait plusieurs figurations hilarantes), la déconstruction du spectacle est à tous les étages et même dans la musique. Corinne et Gilles Benizio ont réglé une mise en scène extravagante très précise et pourtant invisible tant le naturel domine le Corcovado. En plongeant la grenouille Platée dans un Rio de Janeiro peuplé de travestis almodovariens, ils font une transposition facile qui permet tous les délires dans un magnifique décor réaliste (Hernán Peñuela), favela poétique de Monsieur Hulot.
Dans la grenouille aussi tout est bon, bon, bon !
Les metteurs en scène ont la chance d’avoir un excellent plateau d’acteurs chanteurs dont certains se révèlent. Qui aurait pu soupçonner la nature comique de Marie-Laure Garnier ou de Jean-Christophe Lanièce ? Le baryton qui nous a récemment arraché des larmes dans le rôle de Pelléas ose un désopilant Momus dépoitraillé mais toujours bien chantant. Quant à la soprano (Junon) particulièrement à l’aise, ses apparitions intempestives très drôles nous consolent d’un rôle trop court. Le « pouët-pouët » à l’adresse d’Hervé Niquet et un rire singulièrement cruel lancé à la face de Platée montre l’étendue de ses talents de comédienne. Irrésistible également, la Folie de Marie Perbost est réellement déjantée dans un feu d’artifice vocal sous contrôle ce soir de première mais déjà digne d’une extravagante rockstar. Les prises de rôle sont des enjeux de taille pour les artistes. La partition de Rameau qui semblait taillée pour la voix de Mathias Vidal (très attendu dans Platée) pose encore quelques difficultés qui seront assurément surmontées au fur et à mesure des représentations. Après un premier air (« que ce séjour est agréable ») pris un peu bas, le ténor sollicité dans une tessiture himalayesque prend de l’assurance et nous touche en personnifiant une grenouille fragile et émouvante. Jean-Vincent Blot et Marc Labonnette sont de solides Jupiter et Cithéron face à Lila Dufy (Clarine) et Pierre Derhet (Mercure). Avec des timbres séduisants (celui du ténor rappelle Howard Crook), les deux jeunes artistes se font remarquer sans peine et se signalent comme des talents à suivre de près. Beaucoup de séduction émane également du chœur à la diction exemplaire du Concert Spirituel, parfaitement en place et visiblement heureux de pouvoir amuser. Quant à l’orchestre, les puristes auront sans aucun doute une raison de se plaindre de ne pas entendre toute la musique de leur cher Rameau si bien servie ici. Ils seront même horrifiés de voir leur partition ainsi réduite, réarrangée en opéra-comique avec des dialogues parlés. Un soulagement toutefois, la danse n’a a priori pas subi de coupes. Kader Belarbi enchante en signant une chorégraphie éclectique, la géniale musique offrant aux danseurs du Ballet du Capitole des numéros variés. Avec Platée qui n’accuse que Cithéron, Hervé Niquet n’aura aucun mal à assumer l’incroyable cirque dont il est en partie responsable. En provoquant autant de rires, le trio infernal qu’il forme avec les Benizio triomphe à nouveau car le spectacle est une totale réussite qui fait un bien fou après ces mois passés sous masque.