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La Périchole reforme un couple mythique au Théâtre des Champs-Elysées

Le mélomane ne saurait se lasser d’une œuvre d’Offenbach comme La Périchole. Déjà donnée à Paris en 2022, l’opéra-bouffe est de retour au Théâtre des Champs-Elysées avec, en effet, un merveilleux goût de déjà-vu mais pas comme on l’imagine. Explications…

Marina Viotti & Stanislas de Barbeyrac (La Périchole) © Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées

Le nom d’Offenbach se trouve bien haut dans la liste des compositeurs préférés des francophones et pourtant, ses oeuvres sont rarement à l’affiche des grandes scènes nationales. Passée par la baguette magique des musicologues du Palazzetto Bru Zane, La Périchole semble plus fortunée en ce moment que ses consœurs Belle Hélène et Grande Duchesse de Gerolstein avec quelques productions dont la plus récente a fait les beaux soirs de l’Opéra Comique. Rien n’étant jamais trop grand pour la vie parisienne, dix dates sont maintenant programmées au Théâtre des Champs-Elysées où tout semble marcher de pair. La seconde représentation de la deuxième production à Paris en 2022 a eu lieu ce lundi 14 novembre 2022. C’est la seconde version de 1874 de l’opéra-bouffe qui a été choisie pour être interprétée en alternance par deux distributions. La Périchole étant une histoire de couple fusionnel, elle a réuni le duo mythique formé par Marc Minkowski à la direction et Laurent Pelly à la mise en scène. Les deux hommes de théâtre ne s’étaient pas retrouvé pour une création depuis bien trop longtemps.

Minkowski et Pelly, amis d’Offenbach pour la vie

La Périchole © Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées

L’on doit déjà au couplé gagnant un nombre d’exceptionnelles réussites comme Platée de Rameau, Orphée aux Enfers, La Belle Hélène ou La Grande-duchesse de Gérolstein d’Offenbach. Le feu sacré brûle toujours sur l’autel du compositeur défendu avec panache par le chef d’orchestre et dans un irrespect jubilatoire par le metteur en scène. Avec Marc Minkowski à la tête de ses Musiciens du Louvre survitaminés, jamais le « petit Mozart des Champs-Elysées » n’aura aussi bien porté son nom. Le chef qui sait faire du théâtre comme nul autre, souligne les raffinements d’une partition interprétée comme au concert avec d’infinies nuances. Et d’ailleurs, la musique continue à être jouée pendant les précipités dans une pénombre propice au symphonique. Les musiciens réservent même une belle surprise en concurrençant leurs collègues du chœur de l’Opéra National de Bordeaux, incroyablement investis (et impeccablement préparés par Salvatore Caputo). Le rire étant une chose sérieuse, le travail minutieux de Laurent Pelly est exemplaire car il ne se fait jamais sentir. La scénographie de Chantal Thomas offre une fluidité aux enchaînements réglés au millimètre dans un rythme soutenu qui rappelle les meilleures comédies italiennes avec des touches de burlesque anglais. On s'amuse, on applaudit tout au long de la soirée grâce notamment aux dialogues subtilement irrévérencieux adaptés par Agathe Mélinand. Pelly actualise sa Périchole avec des portes et des gros mots qui claquent, retrouvant ainsi tout le sel d’une œuvre qui a choqué à sa création.

Le triomphe des punks à chien sur la scène du TCE

Marina Viotti (La Périchole) © Vincent Pontet / Théâtre des Champs-Elysées

Habitué aux rôles « sérieux », l’étonnant Stanislas de Barbeyrac incarne un Piquillo désopilant avec son parler de titi parisien plus vrai que nature. Dans les habits d’un chanteur des rues sans le sou, le ténor, tous muscles dehors, n’oublie pas le beau chant. Galvanisé par sa partenaire, il se fond aisément dans un rôle où l’on n’imaginait pas ce type de voix, plus large qu’à l’habitude mais parfaitement conduite. Marina Viotti est la révélation attendue du spectacle. Un superbe CD et des critiques favorables ont précédé la venue de la mezzo qui fait sienne la partition de La Périchole. Comme sur du velours, les airs s’enchaînent offrant le même écrin qu’un récital où l’on ne saurait qu’admirer le plus, le timbre envoûtant, une intelligence de chaque instant, des graves frissonnants ou les aigus limpides ? En équilibre sur son banc dans l’air de la griserie « mais chut ! » (où les plus anciens se souviendront d’Anne Sofie von Otter « encore une fois… »), regrettant « mon dieu ! » la bêtise des hommes ou devant le brigand qu’elle adore, Marina Viotti fait chavirer les cœurs, à commencer par celui du Vice-roi. Alexandre Duhamel, survolté en Don Andrès de Ribeira, s’amuse à faire le paon dans un déploiement sonore que son baryton aux grands moyens permet. Ses comparses sont tout aussi exquis comme le comédien Eddy Letexier (dans les rôles parlés du Marquis de Tarapote et du vieux prisonnier), Rodolphe Briand (Le Comte Miguel de Panatellas) et Lionel Lhote (Don Pedro de Hinoyosa) parfaits, ou dans le reste d’une distribution de grand luxe, Alix Le Saux et Eléonore Pancrazi. Cousines maquillées comme des camions volés ou pimbêches à la cour prenant des moues d’influenceuses, elles jouent le jeu à fond et sont tout simplement irrésistibles. Avec des interprètes comédiens et chanteurs exceptionnels, Offenbach a retrouvé ses hérauts duettistes. Marc Minkowski et Laurent Pelly signent une nouvelle réussite qui rejoint les productions déjà entrées dans la légende. Evénement à ne pas louper…