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Humble et impérial Yo-Yo Ma avant son couronnement à Stockholm

La Konserthuset de Stockholm est mondialement connue pour accueillir les Prix Nobel mais le mélomane sait également que les grandes personnalités de la musique classique y sont particulièrement célébrées comme Yo-Yo Ma. Explications…

Konserthuset © Felicia Margineanu / Birgit Nilsson Foundation

L’annonce des prix Nobel ne saurait faire oublier une autre cérémonie d’importance à Stockholm. Depuis 2019 et environ tous les trois ans, la Fondation Birgit Nilsson honore une grande personnalité du monde de la musique classique comme le souhaitait la soprano de légende à l’exceptionnelle carrière. Après Placido Domingo, Riccardo Muti, le Wiener Philharmoniker et Nina Stemme, Yo-Yo Ma est le cinquième récipiendaire et le tout premier instrumentiste lauréat. Avant de recevoir officiellement le prix des mains du roi de Suède deux jours plus tard, le grand violoncelliste s’est produit sur la scène de la Konserthuset, le dimanche 16 octobre 2022, en compagnie du Kungliga Filharmonikerna (l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm) dirigé par Alan Gilbert. Au programme, les deux œuvres populaires et néanmoins exigeantes (Symphonie fantastique de Berlioz et Concerto pour violoncelle de Dvořák) ont connu un succès divers.

Une fantastique pas vraiment fantastique

Alan Gilbert © Yanan Li / Konserthuset

Est-il une œuvre plus populaire et exigeante que la fantastique de Berlioz ? La symphonie jouée dans toutes les salles de concert du monde demande un chef, de l’excellence à tous les pupitres et une architecture. En retissant un lien avec les maîtres du passé, les grands noms du baroque qui se sont intéressés à la partition ont ajouté une difficulté supplémentaire à l’interprétation. Berlioz a composé une musique à programme avec cinq scènes descriptives. Le premier mouvement « Rêveries », un peu empressé, expose les sonorités d’un orchestre classique de belle facture, les membres attentionnés du Kungliga Filharmonikerna retrouvant un chef qu’ils ont bien connu. Alan Gilbert qui a dirigé la formation comme chef principal de 2000 à 2008 enchaîne directement avec « le bal », le plus célèbre et le plus beau mouvement de la symphonie. Le tempo de la valse est scandé mais, pris rapidement, il empêche les alanguissements des cordes. Le trouble et l’inquiétude sous-jacente ne sont pas exprimés car Gilbert semble préférer la démonstration orchestrale plutôt que de raconter une histoire. Le cor anglais et le hautbois se distinguent facilement dans la « Scène aux champs » comme le reste des vents, rutilants, mais ici encore, point d’image parlante comme dans les mouvements suivants. Avec des sonorités bien trop propres, « Marche au supplice » et « Songe d'une Nuit du Sabbat » où l’on attend des atmosphères et du théâtre, sont entravés par un métronome trop présent.

Il n’y a que Ma qui m’aille !

Yo-Yo Ma © Yanan Li / Konserthuset

Dans le Concerto pour violoncelle de Dvořák, Alan Gilbert se soucie toujours du beau son mais ce qui n’a pas marché avec la Symphonie fantastique fonctionne plutôt ici. Le chef donne un contraste appuyé qui met encore plus en avant les subtilités du soliste. Il n’est pas insultant d’écrire que les spectateurs sont venus pour Yo-Yo Ma. En inversant un programme traditionnel avec le concerto en meilleure place que la symphonie, les organisateurs soulignent l’importance de l’artiste invité. Son arrivée enthousiaste suscite l’adhésion immédiate du public, en communion. Le sourire et le bonheur qui se lit sur le visage de Yo-Yo Ma ne s’effacent pas lors de l’introduction orchestrale raide et sonore. La dextérité et la technique éprouvée n’empêchent pas une attaque moins véloce qu’autrefois mais néanmoins d’une poésie et d’une délicatesse appréciables. Deux mondes s’opposent avec une direction volontiers « show off » et le violoncelle beaucoup plus introspectif. Les moments de grâce sont nombreux comme lors du troisième mouvement où Alan Gilbert fait rugir son orchestre sans jamais écraser son soliste qui garde la tête dans les étoiles. La dernière note, superbement tenue, comme suspendue, lui vaut une ovation debout de toute la salle. Au sommet d’une carrière exemplaire, Yo-Yo Ma qui n'a plus grand-chose à prouver fait parler sa sensibilité avec humilité et détachement pour le seul plaisir communicatif de la musique. Aux applaudissements, chef et soliste sont revenus bras dessus-dessous avant que Gilbert ne pousse Ma seul sur le devant de la scène. Mains nues, l’artiste a alors empoigné l’instrument du second violoncelle pour jouer en bis, le prélude de la première suite de Bach. Un moment de pur bonheur…