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Pelléas et Mélisande, le drame sociétal de Royaumont

Le mélomane habitué des grandes maisons d’opéra ne se fait pas prier pour venir s’assoir dans le fauteuil douillet d’une salle de théâtre moderne surtout lorsque la proposition est aussi alléchante qu’un opéra mis en scène par Caurier et Leiser. Explications...

Marthe Davost et Jean-Christophe Lanièce / Pelléas et Mélisande © Guillaume Castelot - Châteauvallon-liberté - Scène Nationale

Il se passe toujours beaucoup de choses intéressantes à Royaumont. Les artistes et la recherche sont au cœur des activités des différents pôles réunis sous le toit de la vénérable abbaye qui accueille le Festival bien connu à la fin de l’été. Ce résumé réducteur ne doit pas faire oublier la partie importante et sans doute principale qu’est la formation. Le Pôle Voix et Répertoire de la Fondation donne la possibilité à des chanteurs, instrumentistes, chefs de chœur et metteurs en scène de faire un pas de plus dans la profession grâce à des stages et parfois même des productions comme ce nouveau Pelléas et Mélisande de Debussy. Le spectacle confié aux célèbres metteurs en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier est conçu pour être présenté dans des théâtres qui n'accueillent pas de lyrique habituellement. Ce mardi 25 janvier 2022, c’est donc au Centre des Bords de Marne au Perreux-sur-Marne qu’a eu lieu l’une des quelques représentations déjà programmées.

Pelléas et Mélisande prennent la parole

Marthe Davost et Jean-Christophe Lanièce © Guillaume Castelot - Châteauvallon-liberté - Scène Nationale

La version piano/voix de la main même de Debussy permet à Pelléas et Mélisande de voyager léger dans un décor très simple composé d’un canapé à cour et d’un piano à jardin. Fin musicien, Martin Surot s’empare de la partition (dont la première édition d’orchestre avec de nombreuses annotations de Debussy est préservée à Royaumont) avec maestria. Sans pouvoir rivaliser avec la complexe alchimie de l’orchestration, son piano parvient bien souvent à transcender la musique en restituant les atmosphères si délicates. Solidement accompagnés, les chanteurs évoluent avec d’autant plus de liberté et de naturel. Alors qu’ils sont tous en début de carrière, les jeunes artistes à l’affiche ne sont pas des inconnus pour autant comme Jean-Christophe Lanièce, ancien membre de l’Académie Orsay-Royaumont ou Marie-Andrée Bouchard Lesieur, révélation de l’Académie de l’Opéra national de Paris. La distribution d’une belle homogénéité respecte le type vocal de chaque personnage et permet aux artistes d’habiter leur rôle avec une prononciation absolument remarquable. Même si la mise en scène élude tout symbolisme, pas un mot du texte de Maeterlinck n’est perdu. L’exploit est d’autant plus à souligner lorsqu’il s’agit d’une voix de soprano.

Golaud emporté par sa propre violence

Halidou Nombre et Jean-Christophe Lanièce © Guillaume Castelot - Châteauvallon-liberté - Scène Nationale

En se débarrassant de tout le décorum pelléassien, des épées et des longs cheveux le long de la tour, Moshe Leiser et Patrice Caurier se sont concentrés sur l’aspect intime de la relation entre les héros. Dès la première scène, Mélisande est une femme battue qui va ensuite trouver refuge dans sa belle-famille et un chaste réconfort auprès de son beau-frère Pelléas avant que le drame éclate. Contrairement aux grands vaisseaux de l’opéra, les salles de théâtre offrent une proximité avec les chanteurs qui peuvent se permettre d’affiner leur jeu de comédien et atteindre ce degré de réalisme. Caurier et Leiser ont effectué un admirable travail de détail perceptible dans un mouvement ou un regard. La tension palpable dès le début va crescendo dans la violence. Le dernier geste déchirant de Mélisande mourante arrache les larmes. Nous sommes ici dans le concret, le drame sociétal des femmes battues. Le baryton burkinabé Halidou Nombre endosse le terrible rôle de Golaud. Même si sa technique vocale se laisse dépasser par le jeu et la fougue, il est convaincant comme sa partenaire, la fragile Marthe Davost. Timbre clair et voix subtile, c’est une Mélisande plus fraîche que vénéneuse qui tourmente le Pelléas habité de Jean-Christophe Lanièce, l’évidence même dans le rôle. Les aigus dangereux sont négociés avec science. Jusqu’au petit Yniold (Cécile Madelin), aucun rôle n’est sous-distribué. Cyril Costanzo est physiquement crédible et même impressionnant dans le rôle du vieil Arkel aux côtés de Geneviève, la mère de Golaud et Pelléas que les metteurs en scène ont eu la très bonne idée d’utiliser dans des moments clés. Excellente comédienne et magnifique chanteuse, Marie-Andrée Bouchard Lesieur confirme tous les espoirs placés en elle.

Il faut guetter les prochaines représentations car l’expérience théâtrale et musicale offerte par ce Pelléas et Mélisande intime est à vivre.

Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Halidou Nombre, Marthe Davost et Cyril Costanzo © Guillaume Castelot - Châteauvallon-liberté - Scène Nationale