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Fidelio sans voix mais surtout avec à l’Opéra Comique

Voilà enfin le retour attendu dans les salles de spectacle. La rentrée est déjà riche d’événements et parmi les plus attendus à Paris, Fidelio à l’Opéra Comique est dans le haut de la top liste. Après une année sinistrée, Beethoven retrouve ses héros. Explications...

Fidelio DR S. Brion - de gauche à droite : Christian Immler (Don Fernando), Mari Eriksmoen (Marcelline), Michael Spyres (Florestan), Siobhan Stagg (Fidelio / Leonore), Linrd Vrielink (Jaquino), Albert Dohmen (Rocco), chœur Pygmalion, enfants de la Mâitrise Populaire de l’Opéra Comique

Quelques signes montrent que la saison parisienne a bel et bien repris. Le chant des oiseaux a laissé sa place au brouhaha et dans les halls des opéras, l’excitation des spectateurs (même masqués) est palpable de nouveau. Il faut dire que ce 27 septembre 2021, l’Opéra Comique affichait l’un des nombreux temps forts de sa programmation avec le chef d’œuvre Fidelio, unique opéra de Beethoven. Les mélomanes attendaient particulièrement la prise de rôle scénique du ténor Michael Spyres qui incarne Florestan. Lors de cette deuxième représentation, sa partenaire Siobhan Stagg a été annoncée souffrante. Elle a fort heureusement pu tenir le rôle de Leonore sur scène tandis que depuis la fosse, Jacquelyn Wagner l’a remplacé vocalement. La production doit faire l’objet d’une captation pour être diffusée en direct sur le site d’Arte, vendredi 1er octobre à 20h.

La sortie de prison de Michael Spyres

Fidelio DR S. Brion - Linrd Vrielink (Jaquino)

Il est aisé de comprendre le choix de la chaine culturelle franco-allemande car sur le papier déjà, les atouts étaient nombreux. Le directeur de la Salle Favart Olivier Mantei (en partance pour la Philharmonie de Paris où il prendra ses nouvelles fonctions de directeur le 1er novembre) et son conseiller artistique Christophe Capacci nous ont habitués aux distributions ciselées proches de la perfection. Ici encore, tous les artistes sont à leur place pour faire exister leur personnage avec les moyens vocaux adéquats qui transcendent parfois même la partition exigeante de Beethoven. Au premier rang, Michael Spyres se montre stupéfiant dans le rôle de Florestan. Le ténor possède des moyens phénoménaux qu’il n’utilise jamais dans la démonstration vaine. Comme celle de Jonas Kaufmann à Bastille en 2008, son entrée au deuxième acte restera dans les mémoires. Entamé sur un fragile pianissimo, le « Gott! » du premier air enfle crescendo laissant la voix envahir tout l’espace acoustique de Favart. Du grand art ! Même si la prestation est époustouflante, elle n’écrase jamais les partenaires. Il est heureux de pouvoir applaudir un artiste de la trempe d’Albert Dohmen. Wagnérien accompli, le baryton-basse s’impose avec évidence dans le rôle de Rocco. Marzelline est incarnée avec élégance par Mari Eriksmoen qui apporte de jolies couleurs à sa voix de soprano délicatement nuancée. Dans le rôle de l’amoureux Jaquino, Linard Vrielink qui lui donne la réplique semble légèrement en retrait malgré d’évidentes qualités. L’ayant vêtu du même costume de gardien de prison que ses acolytes, le metteur en scène Cyril Teste ne l’a pas aidé pas à dessiner un personnage.

Raphaël Pichon entend les voix de Beethoven

Fidelio DR S. Brion - Michael Spyres (Florestan), orchestre Pygmalion

Comme souvent avec Fidelio, Cyril Teste a placé l’action dans un contexte carcéral contemporain, cohérent ici. Il recourt beaucoup à la captation vidéo en direct. Les visages des interprètes sont ainsi projetés sur des écrans placés sur scène. Le procédé apporte lorsqu’il s’agit de chanteurs/acteurs comme Stéphane Degout dans Hamlet (monté ici même en 2018 par Cyril Teste et repris en 2022). Dans le cas présent, il dessert plutôt, n’est pas comédien qui veut... Comme Michael Spyres, Siobhan Stagg hélas privée de sa voix dispose de la palette expressive d’une chanteuse d’opéra assez traditionnelle. Il faut admettre que le livret de Sonnleithner et Treitschke ne leur offre pas la même complexité dramatique qu’un Shakespeare. Mieux dessiné, Don Pizarro est un rôle à la tessiture problématique que Gabor Bretz survole avec panache. La basse hongroise, grand familier du Barbe-Bleue de Bartók, possède les aigus et la hargne qui lui permettent de convaincre facilement. Impeccable, Christian Immler est à saluer ainsi que les deux Prisonniers Constantin Goubet et René Ramos Premier, remarqués membres du chœur Pygmalion. Même si Raphaël Pichon s’est plutôt fait une spécialité dans le baroque, les mélomanes savent de quoi il est capable dans d’autres répertoires. A la tête de Pygmalion, chœur et orchestre, le jeune chef fascine tout au long de la soirée et subjugue plus d’une fois. Le chœur est exemplaire et soulève l’enthousiasme. Même si quelques accrocs titillent parfois l’oreille, Pichon obtient de son orchestre sur instruments d’époque des subtilités qui contrastent magnifiquement avec un héroïsme flamboyant mais toujours délicat. Jacquelyn Wagner, la Leonore vocale du 27 septembre offre une occasion opportune de redécouvrir l’œuvre avec un regard mozartien. La soprano qui s’est souvent illustrée avec Donna Anna, Fiordiligi ou Pamina apporte une fraîcheur inattendue au rôle souvent dévolu à des sopranos plus lourds. Et même si ainsi installée dans la fosse, il est difficile de se faire une idée juste sur le volume de sa voix, elle enchante grâce à un aigu idéalement placé. Il faut courir à Comique pour entendre ce Fidelio d’exception en vrai. Pouvoir jouir à nouveau du spectacle vivant dans une salle d’opéra est une liberté retrouvée. Passer à côté de cette distribution admirable serait se priver d’un plaisir certain...