Fantastiques célébrations au Konzerthaus de Berlin
Il y a 200 ans, les berlinois en délire découvraient un opéra fantastique qui allait devenir une œuvre phare du répertoire romantique. En 2021, presque rien ne pouvait empêcher la fête de se tenir surtout doublée d’un autre anniversaire. Explications…
Après avoir été plongées dans un chaos effroyable, les salles de spectacles ont appris à s’adapter. Avec les beaux jours et le retour à une vie à peu près normale, elles sortent petit à petit du bois pour retrouver un air de fête et surtout la joie de partager la musique. Il était temps pour le Konzerthaus de Berlin qui célèbre cette année deux anniversaires d’importance. La prestigieuse salle de concert allemande a été inaugurée le 26 mai 1821. Elle s’appelait alors le Schauspielhaus et était principalement utilisée comme scène de théâtre même si elle accueillait déjà des concerts et des représentations d'opéra. Les mélomanes les plus avertis savent que l’œuvre considérée comme fondatrice de l’Opéra allemand a été créée ici même, le 18 juin 1821. Deux-cents ans plus tard, jour pour jour, Der Freischütz de Carl Maria von Weber est dirigé par Christoph Eschenbach dans une mise en scène signée Carlus Padrissa de La Fura dels Baus. Pour recréer l’atmosphère du conte fantastique avec forêt mystérieuse, apparitions maléfiques et blanche colombe, l’artiste catalan a imaginé une scénographie à 180° qui est diffusée en direct ce 18 juin 2021 sur le site du partenaire idéal de la culture franco-allemande, Arte-TV.
Der Freischütz de retour à la maison
Une poignée de journalistes triés sur le volet et éminemment chanceux a été invitée à assister à la répétition générale du 16 juin 2021. Pour eux, le spectacle a commencé en coulisse où ils ont croisé les choristes étrangement appareillés de sacs à dos encagés. La superbe salle du Konzerthaus a été temporairement débarrassée de ses fauteuils d’orchestre laissant un large espace où évolueront toute sorte d’artistes. Le collectif La Fura dels Baus est bien connu pour mêler acrobates, circassiens, comédiens et chanteurs. Fidèle à sa réputation, Carlus Padrissa a investi le lieu avec des jeux de lumières éblouissants et une étrange machinerie rendue visible. Des poulies tombant des cintres côtoient les lustres entièrement recouverts de traînes de tulle qui descendent jusqu’au sol. L’imagination sans fin du metteur en scène prend forme dans de multiples tableaux qui feront sensation d’autant plus que le livret est parfaitement respecté. L’histoire du Freischütz n’a nul besoin de sous-texte, l’un des opéras les plus populaires en Allemagne étant suffisamment explicite pour se savourer simplement avec les images.
Toujours aussi beau 200 ans après
Rappelons que comme lors d’un concert de K-pop aujourd’hui, c’est une foule en délire qui a accueilli la création du Freischütz en 1821. En choisissant un conte populaire bien connu, Weber a su créer l’attente. Trois ans se sont écoulés entre l’annonce et la création de l’opéra et pour alimenter le désir, le compositeur a dirigé plusieurs fois l’ouverture avant la première. La popularité de l’œuvre a largement dépassé les frontières même si aujourd’hui, on le retrouve moins à l’affiche. Peut-être que le format vocal exigeant n’incite pas les directeurs de casting à distribuer ce chef-d’œuvre. Une répétition générale reste une séance de travail où les artistes ne sont pas amenés à chanter à pleine voix. Même si le magnifique Rundfunkchor Berlin s’est particulièrement distingué, nous ne rendrons pas compte des performances des solistes du 16 juin mais nous pouvons toutefois souligner la très grande cohérence d’une distribution qui réservera sans aucun doute de très belles surprises. Dans le rôle d’Agathe, Jeanine de Bique semble être la grande révélation du spectacle aux côtés de Benjamin Bruns (un Max évident), Christof Fischesser (Kaspar), Anna Prohaska (Ännchen), Franz Hawlata (Kuno) ou le jeune Mikhail Timoshenko très à son aise dans le rôle d’Ottokar. En grand connaisseur et amoureux des voix, le chef Christoph Eschenbach a trouvé les artistes qui feront de ce spectacle non pas une artificielle reconstitution-hommage mais un vrai spectacle qui, espérons-le, marquera le retour en force d’un ouvrage contenant airs et musique de toute beauté.