Classique c'est cool

View Original

Reportage : Rouen dévoile Phryné et redécouvre Saint-Saëns

Qu’il est long d’attendre le retour dans les salles de spectacle ! Les artistes partagent la lamentation des mélomanes mais ils ne restent pas inactifs pour autant. Certains ont même la chance de pouvoir enregistrer du Saint-Saëns. Explications…

Phryné - Bru Zane © le philtre

 Le mot « adaptabilité » est devenu le sésame des projets qui continuent à voir le jour. Parce qu’il était impensable qu’une institution aussi modèle que le Palazetto Bru Zane fasse l’impasse sur l’année Saint-Saëns, des productions ont été réalisées malgré toutes les difficultés. A l’occasion du centenaire de la mort du compositeur qui était de souche normande, l’Opéra de Rouen Normandie (en collaboration avec Bru Zane, Centre de Musique Romantique Française) a accueilli du 31 mars au 2 avril 2021 l’enregistrement de Phryné, opéra-comique de 1893. S’ils avaient été présents dans la salle, les spectateurs rouennais n’auraient pas reconnu leur Théâtre des Arts, chamboulé pour l’occasion. Les fauteuils du parterre ont été escamotés pour agrandir la scène qui a ainsi doublé sa superficie. Déployés sur l’ensemble de ce plateau éphémère, les musiciens ont été placés face aux chanteurs à bonne distance sanitaire les uns des autres.

Pim Pam Poum

Phryné - Bru Zane © le philtre

Au centre du dispositif, dans une forêt de micros, siégeait le chef dirigeant orchestre, chœur et solistes à 360° comme une danseuse de boîte à musique survitaminée. Hervé Niquet est, sans jeu de mot, un véritable homme-orchestre qui déborde d’une énergie contagieuse. Comme l’enregistrement se fait au fur et à mesure des séances de répétitions (une version de concert devrait avoir lieu en public, au Théâtre des Arts le 3 juillet 2021), les journalistes privilégiés présents dans la salle ont pu apprécier l’incroyable travail d’un artiste qui défend comme personne le répertoire français. Ce jeudi 31 mars, alors que l’on répète les ensembles, le chef dirige, arrête, corrige puis reprend. Il stoppe à nouveau, retravaille encore, peaufine, redresse. Il suggère, reprend et poursuit pour corriger de nouveau. Celui que l’on n’entend jamais pendant la représentation n’arrête pas de parler. Il est souvent très drôle comme lorsqu’il s’exprime en onomatopée pour expliquer à l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie qu’il veut un « Pam » et non un « Pouam ». Parfois le ton se fait plus intransigeant. Demander au chœur du Concert Spirituel « plus de laideur » ou « de faire de la comédie, pas de la musique ! » n’étonne personne car il est évident qu’Hervé Niquet sait où il nous emmène.

Phryné dévoilée et redécouverte

Phryné - Bru Zane © le philtre

Il faut dire qu’il a été admirablement guidé par Alexandre Dratwicki à qui l’on doit cette exhumation. Même s’il reste dans l’ombre des consoles de son, le brillant directeur artistique du Palazzetto Bru Zane est également à la manœuvre pour ciseler l’enregistrement. Les quelques phrases des solistes que nous avons pu entendre sont une mise en bouche appétissante. Avec sa distribution éblouissante (Florie Valiquette, Anaïs Constans, Cyrille Dubois, Thomas Dolié) le CD est attendu pour début 2022. L’opéra de Saint-Saëns complètement oublié de nos jours sera une double découverte car l’on entendra pour la première fois au disque les récitatifs composés par André Messager. Le succès de Phryné a encouragé l’éditeur Durand à traduire la partition en plusieurs langues pour conquérir les marchés européens. La spécificité de l’opéra-comique avec ses dialogues parlés risquant de rebuter les directeurs de théâtres étrangers, il a été fait appel au compositeur, chef d’orchestre et codirecteur de l’Opéra de Paris pour écrire une bonne demi-heure de musique en plus. Il est maintenant à espérer que les rouennais (comme les spectateurs parisiens à l’Auditorium du Louvre le 24 juin) auront la chance de retourner en salle pour s’amuser avec l’un des opéras les plus joués et appréciés de Saint-Saëns. L’histoire de la délicieuse Phryné en déshabillé fera oublier les masques et une morosité trop longtemps subie.