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La Traviata des adieux à Liège

Des « visios » continuent d’alimenter la soif du mélomane sur les plateformes et les divers écrans qui versent souvent le même breuvage. Surexploitée, La Traviata de Verdi trouve quand même son intérêt surtout interprétée comme à Liège. Explications…

Même si tout n’est pas perdu, les mélomanes liégeois ont sans doute deux fois plus de raisons d’être accablés. Les annulations liées à la pandémie ont amputé une saison anniversaire qui s’annonçait vraiment festive, le théâtre de l’Opéra Royal de Wallonie ayant ouvert ses portes il y a tout juste 200 ans. De plus, une triste nouvelle est tombée le 7 février dernier avec l’annonce de la disparition soudaine de Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur général et artistique de la maison belge depuis 2007. Il devait mettre en scène La Traviata de Verdi avec Patrizia Ciofi et une distribution de grand luxe. Le spectacle a tout de même pu être capté les 19 et 20 mars 2021 dans une version concert, mise en espace par Gianni Santucci avec d’autres chanteurs. Ce travail est diffusé en streaming sur le site www.operaliege.be depuis le 8 avril 2021.

Après un an de fermeture (malgré une miraculeuse parenthèse en septembre 2020), il est heureux de retrouver la sémillante Speranza Scappucci. La directrice musicale de l’ORW embrasse la partition avec une énergie salvatrice et une franchise qui convainc de bout en bout. L’impeccable chœur et les solistes belges qui entourent les trois interprètes principaux sont à saluer (Caroline De Mahieu, Julie Bailly, Pierre Derhet, Samuel Namotte et Roger Joakim).

Qu’est-il arrivé à Baby Patrizia ? 

Patrizia Ciofi © Opéra Royal de Wallonie-Liège

Incontestablement la star de la soirée, Patrizia Ciofi est une admirable soprano qui a conduit une carrière exemplaire en sautant allègrement d’un répertoire à l’autre. Même si elle s’est magnifiquement illustrée avec les héroïnes de Vivaldi, Mozart ou Donizetti, Verdi (et particulièrement La Traviata) occupe une place centrale. Elle a abordé le rôle de Violetta Valéry pour la toute première fois en 1993 à Pise, le chante à la Scala de Milan sous la direction de Ricardo Muti (1997) mais l’incarnation qui a marqué les esprits est celle de Venise en 2004, dans la production de Robert Carsen (pour la réouverture de La Fenice). Est-ce le fard un peu prononcé sur les joues de Patrizia Ciofi ou la présence de poupées rétros sur une table ? Dans cette nouvelle interprétation, on pense à la Bette Davis de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? L’actrice explore encore une autre facette de l’héroïne. 28 ans après la prise de rôle, les moyens vocaux restent impressionnants avec ce timbre soyeux et ce léger voile incomparable. La Ciofi est toujours aussi bouleversante et peu importe alors les quelques soutiens qui viennent à manquer, ils servent son jeu.

Les malheurs de Ciofi

La Traviata © Opéra Royal de Wallonie-Liège

Sans jamais démériter, ses partenaires sont moins inoubliables. Dmitry Korchak est un Alfredo honorable bien que, avec une émission fluctuante, sa voix peine à convaincre pleinement et surtout à séduire. A noter cependant qu’après «De’ miei bollenti spiriti », le ténor affronte sa cabalette sans escamoter le suraigu plutôt réussi. Avec un aplomb certain dans le rôle de Giorgio Germont, Giovanni Meoni s’impose facilement dans un personnage monolithique même si le baryton accuse son âge. Le soleil du Sud ne brille pas vraiment dans la partie aigue, « Di Provenza il mar » est cependant plus nuancé que « Pura siccome un angelo ». Germont a droit lui aussi à sa cabalette de la fin de l’Acte II mais le chanteur hélas n’en fait rien, trop occupé à regarder la cheffe. La caméra ne rate rien des regards en coin qui nous sortent de l’histoire. Dans cette captation qui filme les visages de près, les applaudissements des spectateurs manquent cruellement. Ils auraient sans nul doute accueilli la mise en espace efficace de Gianni Santucci qui utilise astucieusement des images en fond de scène pour décor. L’émotion ressentie pendant le spectacle s’intensifie au moment de la lecture de la lettre de Germont. On entend alors la voix unique de Stefano Mazzonis di Pralafera à qui cette représentation est dédiée.