Classique c'est cool

View Original

Adieu à la vie symphonique à l’Orchestre de Paris

Les mélomanes vont remplacer l’expression « long comme un jour sans pain » par « long comme une année sans concert ». Privés du plaisir qu’offrent les salles, ils peuvent cependant se réfugier devant leurs écrans pour vivre des émotions fortes avec Klaus Mäkelä. Explications…

 Qui aurait imaginé qu’un an plus tard, nous en soyons toujours au même point ? La réouverture de la Philharmonie de Paris comme celle de toutes les autres salles de l’Hexagone est une fois de plus renvoyée aux calendes grecques. La culture en France est toujours plongée dans un coma profond avec malgré tout quelques signes de vie. Des concerts peuvent avoir lieu dans des conditions d’hygiène strictes pour être enregistrés puis diffusés sur les plateformes vidéo, le virtuel étant toujours cet ersatz dont il faut se contenter, en attendant... Chahuté par les ouvertures/fermetures des frontières, les diverses annulations et toutes les difficultés rencontrées, l’Orchestre de Paris arrive malgré tout à suivre un calendrier de représentations. Depuis bientôt un an, il continue sa programmation de concerts captés et diffusés gratuitement sur le site Philharmonie Live. Après une saison de transition, la prestigieuse phalange française a nommé en juin dernier son nouveau chef qui sera pleinement investi comme directeur musical à l’automne 2022. Klaus Mäkelä maintient le lien avec ses musiciens en venant régulièrement diriger à la Philharmonie de Paris comme ce fut le cas ce mardi 23 mars 2021.

Pour tous les deux la mort !

Kirill Gerstein © Mathias Benguigui / Pasco And Co - Orchestre de Paris

Est-ce parce qu’il règne en ce moment un climat particulièrement mortifère ? Le chef a choisi le Concerto pour piano No. 3 de Béla Bartók et la Symphonie No. 9 d’Anton Bruckner, œuvres que les compositeurs emportés par la mort n’ont pu achever. En ouverture de programme, Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel donnait le ton ! L’un des tubes de la musique classique est souvent joué et pourtant, il est rare de l’entendre ainsi. Le tempo plutôt lent impose une tension inhabituelle que le chef libère comme pour faire éclater la luminosité de la musique de Ravel. Klaus Mäkelä semble avoir de réelles affinités avec l’univers du compositeur montfortois. Il nous tarde de l’entendre diriger Daphnis et Chloé. Sans que chef et soliste n’échangent beaucoup de regards, le concerto pour piano de Bartók a été interprété avec sérieux et rigueur par Kirill Gerstein souvent inspiré. La folie était à chercher plutôt du côté de l’orchestre brillamment polymorphe. En l’absence de spectateurs dans la salle à la parfaite acoustique, un léger hiatus s’est installé avec un piano plus sonore qu’à l’accoutumée. L’orchestre attirant sans doute plus l’attention, les merveilles d’orchestration d’un Bartók au sommet de son art ressortaient davantage.

Neuvième et dernière symphonie

Klaus Mäkelä © Mathias Benguigui / Pasco And Co - Orchestre de Paris

Dans la Symphonie No. 9 de Bruckner, les musiciens galvanisés ont fait corps avec leur chef pour livrer une interprétation exceptionnelle. L’imposant morceau d’architecture que le compositeur allemand a dédié à Dieu est abordé avec solennité et ferveur. Après une minute de complet silence, Klaus Mäkelä entame le premier mouvement Feierlich, misterioso en dirigeant avec une gestuelle précise et posée qui fascine d’emblée. Ici de nouveau, la relative lenteur du tempo lui permet des déferlements de beaux sons qui électrisent. Le chef respectant les silences s’appuie sur les différents thèmes pour en accentuer les contrastes. Dans le redoutable Scherzo, jamais on ne sent les musiciens de l’orchestre poussés à bout. Mäkelä maintient un tempo implacable parfaitement maîtrisé, sans débordements échevelés ni folie intempestive. Dans le dernier mouvement, Bruckner a placé un choral qu’il a lui-même nommé Abschied vom Leben (Adieu à la vie). Ce testament musical permet un geste à la fois ample et délicat. La direction du chef est toujours d’une grande finesse. Même lorsqu’il aborde avec franchise les passages plus emphatiques, il parvient à garder une émotion intacte. Définitivement, avec Klaus Mäkelä, il se passe quelque chose de grand à l’Orchestre de Paris.