Classique c'est cool

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La flûte de Bastille ou l’enchantement sur écran

Comme Papageno, l’Opéra national de Paris est contraint au silence faute de bravos dans ses salles mais il n’est pas privé de spectacle. Grâce aux écrans, toute la saison n’est pas perdue comme cette Flûte enchantée francophone. Explications…

Depuis plus d’un an, le spectacle vivant est plongé dans un chaos où les accalmies sont rares. Dans ce no man’s land culturel, les mélomanes sont maintenant habitués à attendre patiemment le retour en salle avec des représentations en visio, streaming, sur Web TV ou sur un écran d’ordinateur. Les retransmissions sont aujourd’hui le seul moyen de sauver des spectacles sacrifiés sur l’autel de la Covid. Comme de nombreuses maisons d’opéra, le prestigieux Opéra national de Paris a inauguré une plateforme numérique où sont disponibles concerts, opéras et ballets avec quelques productions emblématiques comme par exemple Le Lac des Cygnes par Noureev ou Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach. Depuis le 22 janvier 2021 (et jusqu’au 21 février), le site L'Opéra chez soi propose, en accès payant, Die Zauberflöte de Mozart dans la mise en scène de Robert Carsen. Pour garder les frissons et l’illusion de la scène, cette Flûte enchantée a été captée dans les conditions du direct à l’Opéra bastille. Même s’il manque les réactions, les rires et les bravos des spectateurs retenus par le couvre-feu, il est heureux de voir le spectacle qui réunit une distribution enthousiasmante à plus d’un titre.

La Reine de la Nuit plus brillante que jamais

(c) Charles Duprat - Cyrille Dubois (Tamino) et Julie Fuchs (Pamina)

Le Singspiel de Mozart fait alterner arias et chœurs bien connus avec un grand nombre de dialogues parlés qui trouvent ici un naturel appréciable parce qu’ils ne sont pas déclamés. Les gros plans révèlent les comédiens dans la mise en scène de Robert Carsen où chacun a sa partition à jouer. Tous les rôles sont parfaitement tenus jusqu’au simple Priester rappelant que Paris est une grande capitale lyrique. Devançant d’une courte tête Papageno, le plus truculent des acteurs/chanteurs est sans nul doute Wolfgang Ablinger‑Sperrhacke. Le ténor campe un Monostatos (qui porte un masque chirurgical noir sur le menton) vil et chafouin à souhait. Papageno trouve en Alex Esposito l’incarnation parfaite du roublard au grand cœur qui sait émouvoir dans son air « Ein Mädchen oder Weibchen » avec une voix qu’il colore aisément. Il a à ses côtés une Papagena de grand luxe avec Mélissa Petit plus habituée aux grands rôles sur les autres scènes internationales. Il est à espérer vivement que cette belle artiste revienne à Paris dans un emploi qui la mettra plus en valeur. En Pamina, Julie Fuchs est rayonnante même si son « Ach, ich fühl's » qu’on aurait aimé encore plus aérien appelle une très légère réserve. Les mêmes compliments s’appliquent à son prince Tamino incarné par Cyrille Dubois. Rayonnant lui aussi, le ténor aux multiples talents est un mozartien accompli avec des aigus vaillants parfois à la limite et un vibrato serré immédiatement séduisant. Baryton-basse plutôt que basse profonde, Nicolas Testé déjà applaudi dans le rôle de Sarastro sur la scène de Bastille se sort facilement des difficultés d’une tessiture exigeante. La Reine de la Nuit est un rôle qui demande également une technique et une justesse exemplaire. Magistrale, Sabine Devieilhe est la perfection même et qui de plus, trouve à incarner dans la mise en scène de Robert Carsen un personnage à la psychologie plus fouillée.

Les méchants passent de l’ombre à la lumière

(c) Charles Duprat - Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Monostatos)

Même si les plus aguerris pourront entendre quelques décalages, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris reste un instrument de toute beauté conduit de main experte par Cornelius Meister. Le jeune chef dans une interview qu’il nous a accordée (bientôt en ligne) affiche déjà un nombre impressionnant de Zauberflöte qu’il a dirigé aux quatre coins de la planète. Son dynamisme est communicatif et sa vision du chef-d’œuvre de Mozart est résolument tournée vers la clarté. L’on ressent même son enthousiasme à la tombée du rideau où spontanément, il applaudit son plateau remplaçant allègrement les bravos des spectateurs.

Créé à Baden Baden, le spectacle de Robert Carsen est une très grande réussite, une de plus, que l’on revoit toujours avec bonheur sur la scène de Bastille depuis quelques saisons. Tout l’univers du metteur en scène canadien est là, décors dépouillés, costumes en noir et blanc sobres et quelques sous-vêtements mais surtout une très grande intelligence du livret. Avec des gags bien sentis, la modernisation s’accompagne d’un total respect de l’intrigue. Les repères maçonniques sont certainement présents mais Robert Carsen ne s’embarrasse pas d’une imagerie incompréhensible pour des non-initiés. En faisant de la Reine de la Nuit la complice de Sarastro (comme il l’avait fait dans sa première Flûte à Aix, en 1994) et en invitant même les méchants de l’histoire à rejoindre la lumière, il laisse passer un message humaniste que n’aurait sans doute pas renié Mozart.

Même s’il vaut mieux le découvrir en salle, il est heureux qu’un tel spectacle soit accessible au plus grand nombre pour une somme modique. Il nous rappelle les plus belles heures de l’Opéra Bastille mais aussi, avec une distribution en grande partie tricolore, il prouve aux plus sceptiques que le chant français se porte divinement bien.