Fêtes au Palais Garnier avec une Alcina belcantiste
Alors que les salles parisiennes s’apprêtent à accueillir des spectacles de fin d’année plutôt joyeux, le Palais Garnier dévoile le grand jeu en misant sur la carte du luxe. Un billet pour voir Alcina et sa distribution cinq étoiles est-il à commander au Père Noël ? Réponse...
Voilà déjà vingt ans que la production d’Alcina signée Robert Carsen a été vue pour la première fois à l’affiche du Palais Garnier. Porté par William Christie et une distribution de haute volée (Renée Fleming, Susan Graham, Natalie Dessay, Laurent Naouri...), le chef-d’œuvre de Haendel faisait son entrée au répertoire de l’Opéra national de Paris. En 1999, le spectacle avait fait couler un peu d’encre. Même s’ils n’avaient pas été entièrement convaincus par cette distribution de grandes voix, les baroqueux saluaient néanmoins le retour des Arts florissants dans la fosse de Garnier et plus globalement la réapparition de la musique baroque sur instrument d’époque dans le temple lyrique parisien. Sans surprise avec un artiste de cette qualité, la mise en scène de Carsen avait étonné les spectateurs et les critiques. Quelques plumes plutôt amusées n’avaient pas manqué de parler de la présence sur scène, pas si fréquente alors, de nudités masculines. Presque anecdotique aujourd’hui, le costume d’Adam ne désoblige personne même si la production s’apprécie différemment. Ce jeudi 25 novembre 2021, lors de la première représentation de la quatrième reprise d’Alcina, le public a réservé un accueil des plus enthousiastes grâce à une nouvelle distribution où se distinguent des voix magnifiques.
Alcina en son royaume et Haendel dans le texte
Très attendue par le microcosme des mélomanes à l’affut de nouveaux talents, Jeanine De Bique est bien la révélation espérée. Pour ses débuts à l’Opéra national de Paris, elle a choisi un Everest avec le rôle écrasant d’Alcina, un condensé des difficultés haendéliennes. Même si quelques détails sont perfectibles, la jeune et très belle soprano qui aborde le rôle pour la première fois possède les nombreuses qualités requises. Longueur du souffle, vocalise ciselée, timbre suave affirmant une personnalité servent un style baroque impeccablement assimilé. Grand atout dans la fosse, la direction musicale de Thomas Hengelbrock fait également merveille. Avec des attaques énergiques et un remarquable sens du théâtre, le chef à la tête de son Balthasar Neumann Ensemble fait idéalement dialoguer le plateau vocal avec l’orchestre. Aussi à l’aise dans Wagner que dans la création contemporaine, l’artiste protéiforme s’affirme comme un gluckiste et un haendélien de premier ordre. Il est appréciable d’entendre les soi-disant « longs » arias da capo chantés avec reprises et des ornementations inspirées, ce qui prouve que l’ennui ne guette que lorsque la qualité n’est pas au rendez-vous.
Avec Sabine et Gaëlle, la fête est encore plus belle
L’affiche du Palais Garnier annonçait une reprise événement avec deux autres prises de rôle des nouvelles stars adulées du chant français. Gaëlle Arquez, méconnaissable sous la perruque de Ruggiero, se consume dans un rôle tout en passions intériorisées. Ce trop d’ardeur qui met la ligne vocale en légère difficulté dans les premiers arias est bien vite corrigé et l’artiste émouvante nous livre une prestation de grande classe. Sabine Devieilhe est, comme à son habitude, exceptionnelle ! Morgana lui offre un personnage où son génie comique s’exprime avec un bonheur communicatif. Mais l’artiste glisse bientôt dans une gravité subtile dans « Credete al mio dolore » qui bouleverse. Vocalement, nous sommes dans des sphères belcantistes où cette perfection a rarement été atteinte. Malgré un aigu légèrement nasillard, son partenaire de jeu Rupert Charlesworth étale un timbre séduisant qui sied harmonieusement aux si beaux arias d’Oronte. Bradamante est un rôle de contralto difficile à distribuer où Roxana Constantinescu sait convaincre malgré une vocalise hachée. Enfin, Nicolas Courjal admiré ailleurs ne semble pas trouver ses marques dans le seul air de Melisso trop débraillé. Même si le rôle secondaire d’Oberto a été sacrifié, la mise en scène de Robert Carsen reste très élégante et parfaitement lisible avec son joli et subtil message pansexualiste. L’essentiel ici porte sur la beauté des images et des voix. Les grands moments de chants qui se succèdent font de la nouvelle Alcina une très belle réussite, ce qui a dû réjouir Alexander Neef discrètement présent dans une loge de côté.