Die Schöpfung de Haydn en Creazione au Festival de Martina Franca
L’œuvre d’un Autrichien créée en allemand sur un texte traduit de l’anglais puis transposé en français et en italien mais retravaillé par le fils du traducteur, il n’y a qu’à l’opéra que l’on peut voir ça ! Et plus précisément à Martina Franca, au Festival della Valle d'Itria. Explications...
Le Festival della Valle d'Itria est un grand incontournable de la scène lyrique internationale. Depuis maintenant 47 ans, c’est à Martina Franca et dans la belle région italienne des Pouilles que l’on redécouvre des pans entiers d’un répertoire tombé dans l’oubli. Les directeurs artistiques qui se sont succédé ont parfois eu des préférences comme Sergio Segalini, en poste de 1994 à 2009, grand résurrecteur des versions originales (comme la Médée de Cherubini ou la Salomé de Strauss en français). Le 23 juillet 2021, la langue de Dante a été choisie pour interpréter le célèbre chef-d’œuvre de Joseph Haydn Die Schöpfung, transformé en Creazione dans la cour du Palazzo Ducale de Martina Franca. Le spectacle dirigé par Fabio Luisi était proposé dans une mise en scène de Fabio Ceresa.
La création de la Création et sa recréation
Tous les mélomanes savent que le grand compositeur classique, père de la symphonie et du quatuor à cordes était autrichien. Joseph Haydn a passé la quasi-totalité de sa carrière au service des princes Esterházy à la cour d’Eisenstadt, de Fertőd et à Vienne. Une petite fenêtre s’est ouverte sur le monde à la mort de Nicolas Ier car son fils Paul-Anton qui n'appréciait ni son maître de chapelle, ni sa musique laisse Haydn disposer de son temps. A 58 ans, il se rend donc à Londres où, impressionné par les œuvres de Haendel, il compose Die Schöpfung (La Création) en 1798. L’auteur du livret anglais est resté anonyme mais son traducteur allemand, le baron Gottfried van Swieten (diplomate, bibliothécaire et généreux protecteur de la musique et des arts) est connu pour avoir remanié le texte. Les deux versions ont bientôt été complétées par une française et une italienne. L’on sait également que Haydn préférait que l'œuvre soit jouée en anglais lorsqu'elle était exécutée pour un public anglophone malgré d’évidents problèmes de prosodie. Suivant la logique haydnienne, le philologue Dario Del Corno (également auteur du livret de l’opéra Outis de Berio) a proposé une nouvelle version du texte italien en 1988, déjà à Martina Franca et déjà dirigée par Fabio Luisi. En 2021, Filippo Del Corno a révisé et complété le travail de son père les inscrivant tous deux dans le concert des nations.
Fabio Luisi, Adam, Eve, trois archanges et du divin
Une première surprise pour les festivaliers non italophones est l’adéquation du texte à la musique. Alors qu’une langue étrangère dans les airs connus aurait pu accrocher l’oreille, il n’en est rien dans cette Creazione qui sonne naturellement comme un oratorio classique. Directeur musical et tête d’affiche du Festival della Valle d'Itria 2021, le chef Fabio Luisi est l’un des artisans de la réussite. A la tête de l’Orchestra del Teatro Petruzzelli di Bari, sa direction est romantique avec des attaques douces et une vue d’ensemble résolument plus lyrique que baroque. Admirable également, le Coro Ghislieri répond à l’ensemble avec d’infinies beautés. Die Schöpfung fait intervenir des solistes, la plupart du temps au nombre de trois. A Martina Franca, deux jeunes chanteurs ont été ajoutés fort à propos pour incarner les rôles d’Adam et Eve. Né à Barcelone, le baryton Jan Antem possède une voix sans doute plus assurée que sa partenaire la soprano italienne Sabrina Sanza mais à 23 et 25 ans, il est évident que le monde leur appartient. Haydn a confié aux trois archanges Gabriel, Uriel et Raphaël les voix de soprano, ténor et baryton. Le timbre sombre de Vassily Solodkyy (Uriele dans la version italienne) ne convient pas exactement à l’image que l’on se fait d’un rôle où Fritz Wunderlich reste la référence absolue. Krystian Adam entendu le lendemain dans La Griselda de Scarlatti aurait eu toute sa place ici face à ces partenaires magnifiques dans leurs superbes costumes. La soprano Rosalia Cid est une belle découverte en Gabriele tandis que le Raffaele d’Alessio Arduini impose facilement son baryton malgré quelques détails techniques perfectibles.
Fabio Ceresa en grand architecte de la Création
Une standing ovation a accueilli les artistes. Il faut dire que le travail accompli par le metteur en scène Fabio Ceresa épaulé par Mattia Agatiello à la chorégraphie est remarquable. L’artiste a su enchaîner les tableaux esthétiques en réservant de multiples surprises et quelques amusantes références tout en faisant habilement passer des messages humanistes. Le texte qui porte en lui un universalisme a été parfaitement illustré sous le regard d’un petit Haydn incarné par une danseuse androgyne au regard qui frise. Une scène retient particulièrement l’attention lorsque le personnage revêt successivement les attributs de toutes les religions, subtil et très beau message de tolérance. Le spectacle est un enchantement. Chaque création possède sa figure symbolique, ses objets, sa couleur et ses mouvements dansés par les artistes de la troupe Fattoria Vittadini souvent impressionnants. Les spectateurs sont ressortis émerveillés par cette très grande réussite, le temps fort de la 47ème édition d’un inoubliable Festival della Valle d'Itria.