A Edimbourg, John Eliot Gardiner dirige West Side Story !
En plus d’une programmation des plus prestigieuses, l’Edinburgh International Festival réserve bien des surprises. Qui aurait pu imaginer un jour Sir John Eliot Gardiner diriger West Side Story de Leonard Bernstein ? La star des chefs baroques se lance dans la comédie musicale ! Compte-rendu…
A l’affiche du prestigieux Edinburgh International Festival 2019, l’association John Eliot Gardiner et West Side Story la célèbre comédie musicale de Leonard Bernstein avait de quoi surprendre tant elle ressemblait au mariage de la carpe et du lapin. Au Usher Hall d’Edimbourg ce 5 août 2019, le grand maître de la musique baroque et du répertoire romantique a sauté allègrement la barrière classique pour une incursion étonnante au pays du Musical et du mambo.
De l’aveu même du chef d’orchestre dans The Guardian, il lui aura fallu 61 ans avant d’oser diriger sur scène ce qui demeure l’une de ses œuvres préférées. Dans cette interview, on apprend que Gardiner a fréquenté l’inclassable Lenny grâce à Nadia Boulanger (qui fut sa professeure comme tant d’autres grands musiciens actuels). Comme à son habitude, c’est en parfait connaisseur que le familier de Bach, de Monteverdi et donc de Bernstein (sic) a abordé la partition. Pourtant sa direction a réservé bien des surprises, parfois déconcertantes. Avec les forces du Scottish Chamber Orchestra, le mélomane pouvait imaginer un geste lyrique affirmé lorgnant plutôt vers Covent Garden que West End ou Broadway. Gardiner a déjoué le piège en assumant une complète liberté. Son West Side Story est un patchwork qui emprunte à la fois au grand symphonique, au jazz et à la comédie musicale.
Gardiner dans le tourment
La tension curieusement absente dans l’introduction explose ensuite avec de temps en temps une sauvagerie et une violence des plus surprenantes. On reconnaît la patte du chef dans l’utilisation savante des tempos. Le célèbre Mambo va à toute allure laissant une impression de grande maîtrise orchestrale et paradoxalement d’une certaine vulgarité. Les moments de pure beauté comme dans « One Hand, One Heart » offrent une parenthèse poignante dans ce bouillonnement surtout qu’en l’absence des parties parlées, tous les airs sont enchainés. Les ayants-droit n’autorisant toujours pas les mises en scène autres que l’originale, Stephen Whitson a signé une mise en espace dynamique qui a permis de vivre l’histoire. En tête d’une distribution disparate, la soprano Sophia Burgos a ce qu’il faut de naturel pour incarner une Maria idéale, scéniquement et vocalement attachante. Sans pour autant démériter, ses partenaires ont été plus hésitants. Un rien guindé dans le rôle de Tonio, le ténor Alek Shrader a préféré la démonstration vocale en rajoutant quelques effets comme dans le merveilleux air « Maria » avec un suraigu en voix de tête fort beau mais dramatiquement inutile.
Le mélomane ne s’y attendait certainement pas
Moins à l’aise techniquement dans le rôle d’Anita, Andrea Baker cherche ses marques et tire sa grande scène « A Boy Like That » vers l’opératique. A vouloir trop suivre une ligne vocale soignée, certains oublient l’émotion en chemin comme Nuno Silva, inexistant dans le rôle de Bernardo. Exceptée une intervenante qui a ruiné par ses faussetés le sublime « Somewhere », l’ensemble a montré un enthousiasme convaincant avec une mention spéciale pour Ryan Kopel. Sous l’œil goguenard du chef d’orchestre (casquette de policier sur la tête et sifflet en bouche pour l’occasion), le jeune chanteur/acteur s’est particulièrement fait remarquer dans « Gee, Officer Krupke ».
En dirigeant West Side Story à Edimbourg, John Eliot Gardiner a assurément offert une soirée de festival très réussie mais n’aura sans doute pas percé tous les mystères de cette partition hybride.
Le mélomane qui s’attendait à découvrir la version de référence attendue aura eu la surprise de vivre un moment de folie et de grande violence, Sir John ayant délivré sa vision avec une interprétation terriblement actuelle.