Karina Gauvin sacrée nouvelle Impératrice salle Gaveau
Paris a toujours eu son faible pour les sopranos. Comme faisant partie de son univers familier, Margaret Price hier, Renée Fleming ou Karita Mattila plus récemment, ont toujours été accueillies chaleureusement par le public qui, de saison en saison, est resté fidèle. La soprano québécoise Karina Gauvin se produisait Salle Gaveau, ce 14 janvier 2015, avec le tout jeune ensemble Le Concert de la Loge Olympique. Et comme souvent avec ses illustres consœurs, Paris a offert une standing ovation à sa nouvelle idole.
En 2003, les spectateurs de la cité de la musique ont eu les premiers, la révélation de cette voix pulpeuse lors d'une version de concert de l'Alcina de Haendel, dirigée par Christophe Rousset. Depuis, les mélomanes parisiens ont eu la chance de pouvoir l'applaudir régulièrement mais toujours en version de concert, dans le répertoire lyrique, principalement baroque. Enfin, en début de saison, le Théâtre des Champs-Elysées lui a offert le rôle de Vittelia dans La Clemenza de Tito, mis en scène par Denis Podalydès, où elle a remporté un triomphe public et critique. S'exprimait enfin sur scène un tempérament volcanique, proche d'une hystérie qui sied bien au personnage débordant et toujours à la limite de l'héroïne de Mozart.
Le nouveau concert de la salle Gaveau, s'inscrivait dans le cadre toujours parfait de la saison des Philippe Maillard Productions qui ne cessent de nous éblouir grâce à la cohérence et aux choix artistiques, souvent à la pointe. Après un mémorable récital Purcell, ici même en 2007, Karina Gauvin mettait Haendel à l'honneur avec des airs d'opéras et d'oratorios, en alternance avec des plages orchestrales joliment défendues par Julien Chauvin. Le jeune chef et violoniste remarquable, acolyte de Jérémie Rhorer au sein du Cercle de l'Harmonie, a décidé de poursuivre son activité musicale avec une nouvelle formation, le Concert de la Loge Olympique.
On a pu apprécier la beauté des pupitres avec une mention spéciale pour les bois dans la Water music, en première partie de concert et pour le duo de cordes dans le Concerto grosso op. 6, No. 1, en deuxième partie.
Julien Chauvin s'est montré un partenaire attentif, accompagnant à merveille la voix épanouie de Karina Gauvin qui nous a réservé quelques grands moments avec toujours beaucoup de naturel et d'aisance, notamment dans le "Scherza di mar" extrait de Lotario. Les tubes "Da tempeste" extrait de Giulio Cesare et "Tornami a vagheggiar" d'Alcina ont permis à l'artiste de déployer ses vocalises et de faire preuve d'une très belle musicalité dans les ornementations. Mais le grand moment de la soirée a été, sans nul doute, le grand air d'Alcina, "Ah mio cor". Familière du rôle de la magicienne trahie, Karina Gauvin a pourtant chanté la scène en réinventant chaque phrase, nous offrant un très grand moment de théâtre. Véhémente et vengeresse au début, la voix sonore se moire de subtiles nuances pour exprimer tour à tour les déchirements et la douleur. Dans la reprise de l'aria, la soprano nous offre de superbes ornementations pleines de noblesse et touche son public en faisant passer, accablée, suppliante puis détruite, une infinie variété de sentiments. Du grand art !
Pour clore le concert, les deux arias de Rinaldo ont confirmé l'impression d'une voix souveraine et d'une Karina Gauvin impériale. Après "Oh! Had I Jubal's Lyre" virtuose, extrait de Joshua en premier bis, la soprano émue, a chanté, en hommage aux victimes des tragiques événements de la semaine, un vibrant "Lascia ch'io pianga" : "Puisse la douleur briser les chaînes de mon martyre, par pitié ! Et aspirer à la liberté !"