Rusalka laisse de nombreux reflets à Bastille
La riche saison 2014-2015 de l’Opéra national de Paris, la dernière de Nicolas Joël, a déjà comblé une partie des attentes des spectateurs exigeants avec quelques belles réussites. La reprise de la production de Rusalka de Dvorak, dans la mise en scène de Robert Carsen, n’était pas attendue comme le temps fort de la saison. Pourtant, grâce à d’heureux concours de circonstance, la représentation du 18 avril 2015 a remporté un vif succès, avec même une belle standing ovation d’une partie de la salle.
Le chef d’œuvre de Dvorak a fait son entrée au répertoire de l’Opéra Bastille avec cette production en 2002 (avec Renée Fleming dirigée par James Conlon). Elle avait alors récolté de nombreux éloges et avait connu une seule reprise en 2005 avec Olga Guryakova dans le rôle-titre. L’affiche de 2015 promettait le retour de la soprano, 10 ans après, mais quelques semaines avant la première, un communiqué de presse annonçait que pour des raisons de santé, elle se retirait de la production (il en sera de même pour le ténor). La défection des têtes d’affiche aura toutefois permis le retour du ténor tchèque Pavel Cernoch (entendu au Palais Garnier dans La Fiancée Vendue, en 2010), les débuts de Svetlana Aksenova et ceux, attendus, de Kristine Opolais, à l’Opéra national de Paris.
A l’affiche du 16 au 26 avril, la très belle soprano lettone Kristine Opolais est une artiste déjà bien connue des mélomanes. Sa jolie carrière vient notamment de la mener au Bayerische Staatsoper de Münich où, aux côtés de Jonas Kaufmann, elle a été la Manon Lescaut de Puccini. Même si le grand vaisseau de Bastille a tendance à manger le volume de la voix, Kristine Opolais confirme son talent et incarne à merveille Rusalka qui est un de ses rôles signature. Le célèbre chant à la lune est amené de manière sensible et sans afféteries, avec un art du chant remarquable. Très belle sur scène, la soprano forme un couple idéal avec l’élégant Prince de Pavel Cernoch. La voix se déploie laissant entendre un très grand styliste, assurément un grand titulaire du rôle dont il maîtrise parfaitement la ligne vocale.
La distribution miraculeusement réunie permet d’apprécier chaque chanteur dans son rôle même si le plateau n’est pas homogène. La puissance vocale de Dimitry Ivashchenko par exemple, tranche mais sert l’autorité d’Ondin, l’Esprit du lac parfaitement incarné. Les graves sonores affirment la présence de Larissa Diadkova, grande habituée du rôle de Jezibaba avec quelques failles qui nourrissent désormais le personnage de sorcière. Les seconds rôles sont également à citer, notamment les trois nymphes qui font écho aux filles du Rhin de Wagner, Yun Jung Choi, Anna Wall et Agata Schmidt ainsi que Igor Gnidii et Diana Axentii, bien distribués.
Robert Carsen, à la mise en scène, propose une lecture axée sur la sensualité des personnages. Rusalka est tiraillée par son désir de s’offrir au Prince tandis que la Princesse étrangère (Alisa Kolosova, parfaite de volupté), n’hésite pas à franchir le pas pour tomber dans ses bras. La production est l’une des plus belles réussites de Carsen qui a pourtant déjà signé de très grands moments à Bastille. Le travail sur le double décor et sur les éclairages traduit l’univers féerique de l’œuvre avec une approche résolument moderne. Les reflets sur l’immense chambre inversée et les oreillers qui s’envolent sont quelques exemples des images au pouvoir poétique qui marquent.
La soirée n’aurait pas été cette parfaite réussite sans le concours du chef Jakub Hrusa, grand habitué du répertoire tchèque qu’il défend chaque saison comme directeur musical du Prague Philharmonia. Les attaques du jeune chef de 33 ans sont précises et sa direction a confirmé, une nouvelle fois, que l’Orchestre de l’Opéra national de Paris est actuellement la plus belle formation française. Sans jamais tomber dans l’écueil d’un romantisme trop échevelé comme dans l’ouverture, Jakub Hrusa a conduit avec raffinement et en recherchant les plus belles sonorités possibles.
La curiosité des spectateurs aura été récompensée car, grâce à la production, aux chanteurs, à l’orchestre et à son chef, l’opéra Bastille a connu un grand soir et assurément, l’un des temps fort de la saison parisienne.