Homme, femme ou travestis : Armida pour tous !
Grâce aux efforts de l'Arcal, Compagnie Nationale de Théâtre Lyrique et Musical, une nouvelle production de Armida, l'opéra de Haydn, a pu être appréciée en France. De Reims à Clermont-Ferrand, ce sont huit villes en tout qui ont accueilli la mise en scène de Mariame Clément. La musique classique et l'opéra n'étant pas des genres réservés à la seule capitale, ce 7 mars 2015, c'est à L'Apostrophe - Théâtre des Louvrais de Pontoise, dans la lointaine banlieue parisienne, que l'oeuvre a été jouée.
Même si l'acoustique du théâtre polyvalent est loin d'être satisfaisante, le nouvel ensemble du chef Julien Chauvin, Le Concert de la Loge Olympique a une nouvelle fois conquis son auditoire. Le seul opéra seria de Haydn créé de son vivant est une oeuvre trop rarement représentée, le compositeur autrichien souffrant peut-être de la trop grande notoriété de Mozart (Le Nozze di Figaro a été composé en 1786, Armida, seulement deux ans plus tôt). Pourtant, Armida possède plus d'un charme mais il faut une vraie baguette pour mettre en évidence les richesses de la partition. Julien Chauvin fait preuve, une fois de plus, de ses talents de grand chef d'opéra. Chaque phrase est caractérisée et, souvent lors de la soirée, on dresse l'oreille pour se réjouir de la conduite de la musique, toujours réinventée, notamment dans une scène d'adieu déchirante.
A quelques nuances près, le plateau de chanteurs complète parfaitement l'ensemble pourtant bien mal servi par l'acoustique, étouffée par les fauteuils en velours. Les voix privées de leur projection arrivent malgré tout à transmettre de belles émotions. Sans toutefois se hisser complètement au niveau des écrasantes références laissées par Jessye Norman ou Cecilia Bartoli au disque, Chantal Santon réussit l'exploit de dessiner une Armida parfaitement crédible. Souveraine, la voix de soprano se joue des difficultés avec une vocalise précise et un engagement remarquable. On le verra, son allure androgyne sied parfaitement au rôle et l'actrice est idéale, usant de psychologie. Son amant Rinaldo est incarné par le ténor Juan Antonio Sanabria. Plus tendu, son jeu est moins naturel que celui de sa partenaire. Bien qu'un peu fruste, le chant reste beau et la voix égale sur une large tessiture. Deux autres ténors complètent la distribution. Avec plus de couleurs, le jeune Enguerrand De Hys est une révélation et campe un Ubaldo crédible grâce à son jeu d'acteur assez fin. Dans le rôle plus anecdotique de Clotarco, Francisco Fernández-Rueda tient bien sa partie. Autre révélation, le baryton Laurent Deleuil possède un timbre élégant et offre de nombreuses nuances qui lui permettent de dessiner un Idreno parfaitement convainquant. La soprano Dorothée Lorthiois complète la belle distribution en apportant la fraîcheur de son timbre qui, comme dans un bouquet, donne une jolie touche de couleur.
La réussite de la soirée tient également à l'étonnante transposition opérée par la metteuse en scène Mariame Clément. En faisant d'Armida un personnage masculin, elle ouvre des perspectives dramatiques inattendues. L'action, rappelons-la brièvement, oppose Armida à Rinaldo amoureux mais retenu captif grâce aux charmes de la magicienne. Dans la production de l'Arcal, Armida est un jeune homme militant pour la cause LGBT, avec tracts et affiches aux couleurs du drapeau arc-en-ciel. La famille de Rinaldo brandit des banderoles qui font immédiatement penser à la manif pour tous de Frigide Barjot et consoeurs. Dans une France bien contemporaine, le chevalier croisé Rinaldo est ainsi tiraillé entre son amour pour un homme et les conventions sociales, imposées par sa famille politique.
Comme par miracle, le livret de le Tasse nourrit parfaitement l'argument de l'opéra, renforçant même l'action qui ne tombe jamais dans le contresens. La partition offre d'ailleurs une belle mise en abîme que seul l'opéra peut proposer. Monsieur Armida est incarné par la belle Chantal Santon qui disparaît totalement sous le costume du jeune homme, à la voix de soprano. Naviguant en pleine confusion des genres, la production se referme sur l'image de l'héroïne, vêtue d'un splendide costume baroque à la Farinelli, androgyne à souhait. Rinaldo à ses pieds pleure "Armida, adieu ! Toi qui es toute ma vie, adieu !" et tous de reprendre "Ô séparation amère, cela restera à jamais un exemple aux âmes aimantes". Le geste doucement politique de la mise en scène est lui aussi un exemple.
Cette transposition réussie qui ne choquera que les plus fermés, nous donne le spectacle d'une Armida pour tous, hautement enthousiasmant.