Seong-Jin Cho : "La musique, ce n’est pas un match sportif !"
Rencontrer un jeune artiste est un exercice des plus agréables surtout lorsque la spontanéité et la simplicité s’invitent dans la conversation. Seong-Jin Cho est un pianiste de tout juste 24 ans et pourtant… Et pourtant, il a déjà joué avec les plus grands orchestres, sous la direction des chefs les plus prestigieux de la planète. Il a déjà parcouru le monde et dans son pays natal, la Corée du Sud, il a un statut de superstar. Brillant élève de Soo-jung Shin et de Michel Béroff, le lauréat de cinq concours internationaux n’est pas un jeune artiste comme les autres. Doté d’un touché délicat et d’une technique infaillible, le vainqueur du Concours Chopin 2015 s’est imposé d’emblée comme un pianiste international de tout premier plan.
Alors qu’un contrat d’exclusivité avec la célèbre firme Deutsche Grammophon pourrait facilement faire tourner la tête, Seong-Jin Cho reste un jeune homme libre et spontané qui évoque avec passion sa vie et sa carrière. Avec une saine fraîcheur, le grand artiste d’aujourd’hui n’oublie pas le mélomane qu’il a été lorsqu’encore étudiant, il fréquentait les salles de concert comme Pleyel ou la Philharmonie. Paris peut s’enorgueillir d’avoir su accueillir cette sensibilité pour lui ouvrir les portes du monde. Alors que vient de paraître un album consacré à Mozart, Seong-Jin Cho se produit à la Philharmonie de Paris, le 01 février 2019 pour interpréter le concerto de Tchaïkovski avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Entre virtuosité et intériorité, une voie royale semble tracée pour le merveilleux pianiste qui nous a accordé cet entretien à Berlin.
Vous souvenez- vous du jour où vous avez touché un piano pour la première fois ?
Je devais avoir six ans et c’était plutôt pour m’amuser. Tout est devenu réellement sérieux à 9 ans quand j’ai décidé de devenir pianiste professionnel. J’adorais la musique classique et surtout j’adorais jouer. Bien sûr, je n’avais pas une idée bien précise sur ce que voulait dire « être artiste ». La révélation est venue quand j’ai découvert le disque des ballades de Chopin par Krystian Zimerman. A cette époque, j’achetais beaucoup de CDs comme ceux de Radu Lupu et des pianistes de légende, Alfred Cortot ou Vladimir Horowitz… et tous les compositeurs !
Vous avez commencé à étudier à Séoul ?
Chaque jour, nous avions environ 2-3 heures de pratique du piano. L’éducation en Corée du Sud est très bonne parce qu’elle brasse tous les arts avec bien évidemment l’apprentissage des mathématiques, de l’anglais, etc. Et à Séoul, la vie culturelle est intense ce qui m’a permis d’assister souvent à des concerts de musique classique.
Les concours internationaux sont arrivés très tôt…
Oui, à 14 ans. Comme j’avais déjà fait toutes les compétitions importantes en Corée, mon professeur m’a jugé apte à me présenter au Concours international Frédéric-Chopin de jeunes pianistes à Moscou. Je n’étais pas le plus jeune qui devait avoir 11 ou 12 ans. En fait, je n’en attendais pas grand-chose mais j’ai gagné le premier prix. (Rires)
Vous semblez dire que c’était plutôt facile ?
Oh non ! Un concours demande beaucoup de travail et je voulais vraiment jouer à la perfection. C’était ma première épreuve internationale, la première fois que je mettais les pieds en Europe ce qui m’a permis de découvrir d’autres musiciens de ma génération. Il faisait très froid… Je ne saurais l’expliquer mais je n’étais pas nerveux et lorsque j’ai remporté le prix cela ne m’a pas vraiment surpris.
Quand on considère votre parcours a posteriori, cela paraît tout à fait normal, je suppose…
C’est en 2009 que la nervosité s’est invitée, juste avant le Concours international de piano de Hamamatsu au Japon. Recevoir le premier prix m’a même étonné parce que pour la première fois, je passais dans la catégorie adulte. J’avais 15 ans et le pianiste qui a obtenu le deuxième prix, 26 ans. Hamamatsu m’a donné l’occasion de me familiariser avec le public. Grâce à ce prix, j’ai eu ensuite la chance de jouer une cinquantaine de concerts, d’apprendre beaucoup, d’ajouter de nouveaux répertoires, d’élaborer des programmes…
Vous avez participé en tout à cinq compétitions internationales. Qu’est-ce qui vous a poussé à concourir de nouveau après ces deux premiers prix ?
Hamamatsu a ouvert une porte avec des récitals au Japon mais pas encore les concerts avec orchestre. D’un point de vue pragmatique, la Corée est éloignée des grandes capitales de la musique classique. Le Concours international Tchaïkovski de 2011 a été l’occasion de beaucoup de rencontres comme avec Valery Gergiev, Yuri Temirkanov, Mikhaïl Pletnev et même Myung-Whun Chung mais aussi avec les musiciens comme Radu Lupu, un rêve d’enfant. Le pianiste Michel Béroff était juré puis il est devenu mon professeur lorsque j’ai déménagé à Paris, en 2012. Je voulais habiter en Europe pour me perfectionner. La technique était déjà là mais le conservatoire a été le lieu de rencontres avec d’autres musiciens, le plus intéressant restant l’histoire de la musique, les analyses, le solfège. Avec Michel, nous avons étudié beaucoup de Debussy. Il m’a ouvert sur le répertoire du XXe siècle, Ravel, Bartók, Prokofiev et même Messiaen…
Vivre à Paris à 18 ans, c’est l’idéal ?
Au début, ma maman était là parce que je n’avais pas encore 19 ans qui est l’âge de la majorité pour un coréen. Paris, c’est beau et la vie y est vraiment agréable. Presque tous les soirs, j’ai profité des billets à tarif réduit pour les étudiants pour aller au concert. Salle Pleyel, j’ai eu la chance d’entendre Claudio Abbado quatre fois. Cela m’a permis également de pas mal voyager.
Et en 2014, vous vous présentez au Concours international de piano Arthur Rubinstein à Tel Aviv…
A ce moment-là, je me suis mis à détester les compétitions parce que la musique, ce n’est pas un match sportif.
Vous vous classez troisième et pourtant dans la foulée, vous tentez le Concours international de piano Frédéric-Chopin, réputé pour sa difficulté. Pourquoi ?
Cette période n’était pas évidente pour moi car malgré mes prix, je n’avais pas beaucoup l’occasion de jouer et plus que tout, je souhaitais faire carrière en Europe. Je suis arrivé à Varsovie très stressé et même un peu malade. Je me souviens qu’il faisait froid mais je m’étais bien préparé. J’ai énormément travaillé parce qu’il était décidé que ce serait mon dernier concours. Et j’ai gagné, ouf ! (rires)
Et après ?
A partir de là, tout est devenu à la fois plus facile et plus difficile parce que comme je n’avais pas encore d’agent, il a fallu prendre énormément de décisions, seul. Les propositions affluent de toute part, récitals, concerts, enregistrements. Il faut choisir son répertoire et parfois savoir dire non.
En récital, vous avez joué Mozart, Schubert et Chopin, bien sûr. Vous vous êtes produit avec le Philharmonia Orchestra à Londres, l’Orchestre de Paris, Santa Cecilia de Rome, le Mariinksy avec Gergiev… Et puis, vient le remplacement de Lang Lang en 2017. C’est un véritable challenge pour un jeune artiste ?
Oui, je crois que ça s’est bien passé… j’espère ! (rires). J’ai fait la connaissance de Krystian Zimerman grâce au concours Chopin. C’est lui qui m’a présenté à Sir Simon Rattle. Après cette tournée avec le Berliner Philharmoniker, ma carrière a pris un essor vraiment incroyable.
On vous verra à la Philharmonie de Paris le 1er février 2019 où vous retrouverez Myung-Whun Chung, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France…
Je pense pouvoir dire que le Maestro Chung est mon chef d’orchestre préféré. J’aime sa concentration, sa profondeur, son humanité. J’ai eu la chance de jouer avec plusieurs grands chefs d’orchestre comme Rattle, Mariss Jansons, Valery Gergiev, Esa-Pekka Salonen et je serais bien incapable de dire qui est le meilleur mais pourtant mon cœur bat un peu plus fort pour Myung-Whun Chung. Et puis, je retourne à la Philharmonie. C’est une salle que j’ai fréquenté comme spectateur et que j’adore.
On est impressionné car vous vous êtes déjà produit dans les plus grandes salles du monde…
Presque… (Il réfléchit). il y a eu Carnegie hall, le Concertgebouw, Berlin, Munich…. J’ai été invité à la Konzerthaus de Vienne mais pas encore au Musikverein et il n’y a pas de projet pour l’instant.
A propos des saisons à venir, quelles sont les nouvelles œuvres que vous allez ajouter à votre répertoire ?
Le premier concerto de Rachmaninov est au programme ainsi que le premier Chostakovitch avec trompette et le deuxième de Liszt. J’aimerais apprendre les concertos de Brahms. En récital, l’Opus 118 est déjà inscrit comme la Wanderer-Fantaisie de Schubert et la Sonate en Si mineur de Liszt, programme que je vais jouer au Festival de Saint-Denis en juin. Les études de Ligeti m’inspirent également, peut-être dans le futur… Il y a un concert prévu avec l’Orchestre National de France et James Gaffigan. Après le récital avec Matthias Goerne au Palais Garnier, à Vienne et à Londres en avril 2018, nous allons sans doute revenir à Paris car nous avons de nouveaux projets ensemble.
Un CD par exemple ?
En effet, nous avons enregistré la semaine dernière, à Berlin, des Lieder de Hans Pfitzner, les Wesendonck de Wagner et un petit Strauss. La sortie se fera dans deux ans, sans doute.
Accompagner un chanteur est un exercice assez différent. Racontez-nous votre expérience, surtout avec un grand baryton comme Matthias Goerne…
Cela m’était déjà arrivé en Corée mais quand Matthias m’a proposé cette petite tournée, j’étais aux anges car j’admire son travail. J’étais venu le saluer au Théâtre des Champs-Elysées après l’un des cycles Schubert avec Leif Ove Andsnes. Il m’a dit qu’il avait entendu mon disque Chopin. Nous avons simplement échangé nos numéros de téléphone et la semaine suivante, il m’appelait !
J’ai appris énormément avec lui, notamment sur la langue allemande car Matthias Goerne est très généreux. L’accompagnateur doit épouser certains mots. Le timing et le phrasé sont des éléments très importants pour les chanteurs.
Un CD Mozart avec le Concerto No. 20 et les Sonates K. 281 et K. 332 vient de sortir chez Deutsche Grammophon. Comment se construisent vos projets d’enregistrement ?
Le premier CD Chopin a été édité dans la foulée du Concours qui avait prévu l’enregistrement de ce concert sur le vif. Le deuxième avec les Ballades et le premier Concerto de Chopin a été enregistré en studio comme les suivants. Pour les Images de Debussy, j’ai été comblé car Deutsche Grammophon a tout de suite accepté mon idée de les enregistrer. A côté des Préludes ou Clair de lune, ce ne sont pas les pièces les plus souvent jouées et Debussy est mon compositeur préféré. La musique de Mozart est celle que je joue depuis que je suis enfant. C’est un compositeur qui peut accompagner toute une vie, n’est-ce pas ?
Vous avez peu abordé la musique de chambre…
J’ai eu l’occasion de jouer avec Gidon Kremer ou Kyung Wha Chung et en trio avec Maxim Vengerov et Alisa Weilerstein au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence. Et puis, il y a eu le Festival de Verbier, cette communion heureuse entre tous les artistes où je me suis retrouvé entre Evgeny Kissin, Daniil Trifonov, Mikhaïl Pletnev, Yuja Wang ou András Schiff.
Je préfère tout de même les récitals parce que je m’y sens plus libre. Martha Argerich a dit un jour qu’elle se sentait très seule et je peux la comprendre mais moi, c’est l’exercice que je préfère.
Comment travaillez-vous ?
Jusqu’à l’année dernière, j’étudiais d’abord la partition, les nuances, le tempo, les phrasés pour mémoriser absolument tout. Et puis je me suis rendu compte qu’il était impossible de jouer à la lettre ce qui est écrit. Quand je suis chez moi, je suis très studieux mais sur scène sur mon Steinway, j’essaie de trouver la spontanéité de l’instant.
Vous êtes un artiste de scène…
A la maison, je suis très académique et sans doute pas intéressant (rire). La scène est le seul endroit où je me sens libéré de tout.
A 24 ans, vous êtes un pianiste comblé. Que peut-on vous souhaiter ?
Je souhaite aborder de nombreux répertoire et je voudrais jouer encore mieux que maintenant !
Propos recueillis le 13 janvier 2019 par Hugues Rameau-Crays.