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Bertrand Rossi : « il est important que l’Opéra de Nice rayonne »

Bertrand Rossi : « il est important que l’Opéra de Nice rayonne »

L’un des meilleurs atouts culturels de la France est de posséder sur son territoire un maillage de grandes maisons d’Opéras possédant un rayonnement qui dépasse largement le cercle des mélomanes. Souvent riches d’une histoire incomparable, ces théâtres sont reconnus comme des acteurs majeurs et pourtant, ils ne sont pas toujours maîtres de leur destin et parfois encore moins de leur communication ! L’Opéra de Nice a été trop longtemps dans l’actualité pour de mauvaises raisons, plus souvent cité dans la rubrique Finance et Scandale. En souffrance depuis une dizaine d’années avec à sa tête une rotation anormale, il espérait la venue de son nouveau directeur général comme une belle endormie attend son prince charmant. Aux yeux de toute la presse spécialisée, Bertrand Rossi est cet homme providentiel qui avec son enthousiasme et un sérieux bagage (il a été à la tête de l'Opéra National du Rhin) vient redonner tout son lustre à une maison qui n’attend que cela. Bien avant la Covid, croulant sous une tonne de travail et malgré une polémique aussi vaine qu’inutile qui a tenté de gâcher les noces, Bertrand Rossi nous a accordé un entretien exclusif où il parle avant tout de son métier, un peu de lui mais surtout d’avenir. Avant que la saison 2020-2021 ne soit dévoilée, voici les propos d’un homme libre qui nous parle de passion et d’art mais qui n’aborde pas le sujet des perturbations entraînées par la pandémie et encore moins des résultats des élections municipales (l’entretien a été réalisé le 2 mars 2020). Avec cette arrivée prometteuse, le soleil de la Côte d’Azur s’annonce radieux et semble vouloir briller de nouveau sur l’Opéra de Nice.

Bertrand Rossi © Nis & For / Opéra de Nice © DJAussein

Bertrand Rossi © Nis & For / Opéra de Nice © DJAussein

Est-ce que vous souhaitez que l’on évoque le débat qui a suivi votre nomination ? [NDLR : le Maire n’ayant suivi l’avis que d’une partie du jury pour faire son choix entre les deux derniers candidats] 

 Je pense que c’est du passé maintenant et surtout, que c’est un non-sujet. Le maire a envie de mettre un coup de projecteur sur la culture et il a une grande ambition pour l’Opéra de sa ville. Il semble alors normal que ce soit lui qui choisisse la bonne personne pour un poste stratégique. L’Opéra de Nice est une maison qui emploie 350 personnes. La nouvelle est tombée dans une période pré-électorale forcément tendue mais depuis, j’ai pris possession du bureau et des problèmes (rires) comme tout directeur général quand il s’installe !

 Est-ce qu’on peut dire que l’Opéra de Nice est un retour aux sources pour vous ?

J’ai commencé tout jeune à Nice et aux Chorégies d’Orange. C’est d’ailleurs amusant parce qu’il n’y a pas si longtemps, quelqu’un m’a donné un vieil article d’André Peyrègne dans Nice-Matin qui titrait « Bertrand Rossi, le plus jeune régisseur de France ». C’est pourtant à l’Opéra du Rhin que ma carrière a évolué. Il y a 20 ans, on m’a proposé un poste comme régisseur général. Je suis passé ensuite directeur de production, directeur général adjoint puis directeur général après le triste décès d’Eva Kleinitz. Passer de poste en poste m’a permis de découvrir en profondeur les différents métiers d’une maison lyrique. J’ai appris qu’un bon directeur d’Opéra est celui qui connait chacune de ces 100 professions qui y sont regroupées. 

 Et d’ailleurs, votre propre père a travaillé à l’Opéra de Nice ?

 Oui, en effet, il a été directeur administratif pendant presque 40 ans et je lui dois certainement mon amour pour l’opéra. Il est vrai que tout gosse, je courrais dans les couloirs du théâtre qui était déjà ma deuxième maison. Je vous accorde que c’est une anecdote charmante qui plait aux journalistes mais depuis ma nomination, je n’ai pas vraiment eu le temps de repenser à cette période ! Etant plutôt un travailleur acharné, avec 3 ou 4 heures de sommeil par nuit, mon rythme ne me le permet pas.

© DJ Aussein

© DJ Aussein

 Quels sont les enjeux de l’Opéra de Nice ?

 C’est une maison qui a vocation à devenir Opéra national même s’il faut avouer qu’elle est en dehors des radars lyriques français et pire encore au niveau international. Il s’y est pourtant fait de très belles choses. Elle possède toujours un potentiel extraordinaire mais après une longue période d’intérim, le nouveau directeur était attendu comme le Messie pour redynamiser cette maison qui a une grande et réelle volonté de réforme. Depuis décembre, l’administratif et le management représentent 90% de mon temps avec parfois des décisions graves à prendre.

Je suppose que l’artistique est la partie que vous préférez ?

 Vous avez raison, c’est bien de cela dont on devrait parler tout le temps dans une maison d’Opéra ! L’idéal serait de rééquilibrer mon temps à égalité entre l’administratif et l’artistique mais lorsque j’évoque le sujet avec mes collègues directeurs, nous faisons tous le même constat car malheureusement nous n’y arrivons jamais ! Si au moins, je pouvais passer à 40/60, ce sera déjà pas mal... (rires)

 Etes-vous déjà dans la préparation de vos futures saisons ?

 A l’heure où je vous parle, nous bouclons tout juste la saison 20-21. L’Opéra de Nice était une maison un peu malade avec des directeurs qui n’ont fait que passer. L’urgence pour les équipes était d’avoir quelqu’un avec qui parler et qui puisse les comprendre. Nous sommes allés vite, ce qui m’a permis d’avoir une vision claire de la situation pour proposer une nouvelle organisation. Dans les prochains mois, je vais pouvoir mettre en place un projet fort.

 Alors parlons de la saison 20-21, c’est vous qui l’avez conçue ?

 Quand je suis arrivé, le calendrier était entièrement vierge, ce qui peut être un avantage. Il a fallu que j’aille très vite pour choisir les titres, retenir les metteurs en scène, les chanteurs, les chefs d’orchestre mais aussi pour imaginer de nouveaux formats. Quelques changements dans les habitudes sont à attendre parce que je souhaite faire voir tout de suite qu’il y a de nouveaux horizons à l’Opéra de Nice. 

Aujourd’hui par exemple, ce sont cinq titres qui sont programmés et qui vont passer à neuf. Je garde la possibilité financièrement de faire cinq productions scéniques auxquelles s’ajoutera une œuvre mise en espace. Comme l’action culturelle pour les jeunes publics reste aussi importante que le reste, nous aurons un opéra participatif qui s’adressera à tous. Enfin, nous avons mis en place un partenariat avec le Festival MANCA pour inclure dans notre saison, la musique d’aujourd’hui avec deux titres. Il est important de défendre tous les répertoires qui intéressent un public nombreux.

 Des coproductions sont-elles envisagées ? 

 Au niveau budgétaire, elles sont indispensables parce qu’elles permettent de partager les coûts. Dès la saison à venir, nous mettons en place un partenariat avec l’Opéra Comique. Nos deux salles et nos scènes se ressemblent beaucoup. Nous avons des ateliers de décors et costumes que nous allons mettre à disposition une ou deux fois par an mais au-delà de l’aspect technique, il existe un lien fort entre nos deux institutions. Avant le rattachement de Nice à la France, la ville possédait trois salles, le Théâtre italien (à l’emplacement actuel), le Théâtre français qui défendait sa langue et un Opéra Comique. Toutes les œuvres de Boieldieu, Auber, Bizet... créées à Paris, Salle Favart, étaient ensuite présentées à Nice. Dans l’histoire récente, il faut évoquer Pierre Médecin qui a été un directeur remarquable à l’Opéra de Nice puis à Comique.

Et puis, ce qui est fort intéressant dans les coproductions est aussi d’associer son image avec une autre ville ou une autre institution prestigieuse. Je suis en pourparlers avec le Théâtre des Champs-Elysées et le Semperoper de Dresde, l’une des plus grandes scènes allemandes.

Bertrand Rossi © Nis & For

Bertrand Rossi © Nis & For

 Votre mandat s’étale sur combien de saisons ?

 Comme une preuve de stabilité et de volonté, je suis l’un des rares directeurs à avoir signé un contrat à durée indéterminée, ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour l’Opéra de Nice aujourd’hui. 

 Outre le coronavirus, la saison symphonique 19-20 a été marquée par la résidence du chef Lionel Bringuier. Allez-vous poursuivre votre collaboration ?

 Nous avons une chance incroyable d’avoir un artiste de cette qualité et d’autant plus qu’il est niçois ! Etonnement sa venue a été critiquée. Certains ont parlé de favoritisme alors qui mène une carrière internationale. C’est aussi un peu ça, Nice... Mais quand on a Lionel Bringuier qui fait des choses absolument splendides, ce serait dommage de ne pas en profiter. Bien évidemment, il sera toujours chef d’orchestre associé la saison prochaine.

 Allez-vous engager un travail de fond avec l’orchestre que les critiques jugent parfois sévèrement ? 

 L’orchestre a besoin avant tout de reprendre confiance en lui. Même si un musicien doit toujours rester professionnel, lorsqu’il est dirigé par le même chef onze fois sur quinze concerts, il y a de quoi perdre sa motivation. La résidence de Lionel Bringuier doit être pérennisée mais il n’est pas suffisant de pouvoir respirer seulement 3 fois par an. 20-21 sera une saison de transition. Je crois beaucoup à un nouvel élan car nous avons un projet ambitieux avec une nouvelle organisation en terme musical permettant la venue de chefs spécialistes dans différents répertoires. De larges événements sont prévus avec l’orchestre en grande formation. Il est important également de conserver les concerts de musique de chambre qui permettent aux musiciens de s’entendre, de se connaître et de s’écouter. 

 A propos, est-ce qu’il vous paraît important d’ouvrir la scène à d’autres musiques comme le baroque par exemple ? 

 Ce répertoire est très important dans une ville comme Nice qui possède de nombreux édifices baroques. Est-ce qu’il convient d’élargir la programmation ou bien de n’afficher que des titres connus pour faire venir les mélomanes ? Ce débat revient souvent. Mon opinion est qu’il ne faut pas avoir d’idées reçues. Je ne suis pas d’accord lorsque j’entends qu’une programmation trop fouillée ferait fuir le public. L’Opéra aujourd’hui est là pour parler de notre monde. L’évolution des mises en scène en témoigne. 

Les spectateurs viennent dans nos théâtres pour se distraire bien sûr mais aussi pour apprendre, se confronter, être dérangés, bouleversés, remis en question... Chaque spectacle laisse une trace sur celui qui l’a vu. Le temps des programmations avec seulement des Carmen, Traviata, Flûte enchantée est révolu comme celui où l’on allait à l’Opéra simplement pour écouter des chanteurs. Les artistes sont importants bien évidemment mais le public change. Il a soif de découvertes, de sensations et il est dans l’attente d’une combinaison d’éléments différents. Les saisons seront construites dans cet esprit. A l’Opéra du Rhin, la fréquentation est de 115.000 spectateurs alors qu’à Nice, dans une plus grande ville, elle n’est que de 56.000. Pour faire venir plus de monde, nous pourrions augmenter le nombre de représentations mais je ne vais pas y arriver tout de suite. 

 Et pourquoi pas ?

 Parce qu’il faudrait un budget dont je ne dispose pas encore. A titre de comparaison, il est aussi important que celui de l’Opéra de Tours ou de Metz qui font un travail remarquable, ce n’est pas la question. Nice est la cinquième ville de France avec des tutelles comme la Mairie (le premier financeur) qui investissent beaucoup d’argent. Il nous faut prouver que l’Opéra est un créateur de lien social, un art utile et absolument indispensable à la ville. Je souhaite avoir un Opéra citoyen mais il est normal pour une collectivité d’attendre un retour sur investissement. 

 Depuis le rapport de Serge Dorny, l’on sait que les retombées financières sont importantes pour une ville car pour un euro de subvention engagé, l'Opéra génère 2,80 euros... 

 Surtout que Nice est une ville extraordinairement cosmopolite, plus que Strasbourg d’ailleurs. Et pourtant, dans les couloirs de l’Opéra du Rhin, vous entendez parler allemand à chaque représentation tandis qu’ici, les Italiens se font rares. Il y a un travail à faire pour essayer d’attirer les mélomanes internationaux. Dès la saison prochaine, le surtitrage français sera renforcé par l’anglais. La French riviera a un potentiel incroyable car lorsque vous demandez aux Américains, aux Russes ou aux Chinois quelle est la ville la plus connue après Paris ? C’est Nice !

 Et justement, le public niçois alors ? 

© DJ Aussein

© DJ Aussein

 C’est le sujet le plus important ! Le public niçois est averti, mélomane, curieux et fidèle même si certains spectateurs sont partis à Monaco ces dernières années. Mon objectif premier est de les faire revenir à l’Opéra de Nice. C’est aussi d’élargir les publics. Je ne veux surtout pas mettre les gens dans des cases mais il ne faut pas avoir honte de dire que nous avons un public relativement vieillissant qui peut se montrer parfois assez conservateur. Ces mélomanes n’ont pas besoin d’un directeur pour les éduquer mais ils attendent qu’on leur propose ce qui fait de mieux en termes de production, mise en scène, de chef d’orchestre et de répertoire surtout, pour élargir leur champ de vision.  Il y a un gros travail à faire au niveau des jeunes qui passera sans doute par des partenariats avec le Rectorat et l’Inspection Académique ou l’université Nice-Côte d’Azur. J’aimerais que ma programmation soit pensée pour tous. Ce sont plusieurs missions à mener conjointement car il est important que l’Opéra de Nice rayonne dans la ville, sur le territoire et au-delà. Le choix des productions et des metteurs en scène peut attirer la presse nationale et internationale, les mécènes et les coproducteurs. Développer une programmation interdisciplinaire aidera à créer des liens avec les différents acteurs culturels. Il faut réfléchir à avoir une place sur le numérique et obtenir le label Opéra national. Vous comprenez pourquoi je dors si peu en ce moment... 

 Et nous n’avons pas parlé de la danse !

 Heureusement, le ballet est dirigé par Éric Vu-An, directeur de la danse et c’est lui qui s’occupe de la programmation. Ce qui ne nous empêche pas d’évoquer ensemble les projets artistiques et les thématiques que nous pourrions mettre en place. C’est formidable de pouvoir collaborer avec le ballet pour des projets spécifiques. Je peux d’ailleurs vous dire que nous allons innover car pour la première fois, toutes les forces vives de la maison, orchestre, chœur et ballet seront réunies dans le spectacle qui fera l’ouverture de la saison.

 Quel opéra avez-vous choisi ?

 Il faut attendre l’annonce de la saison mais je peux vous dire que c’est une œuvre contemporaine qui n’a jamais été vue en France et que la musique est vraiment abordable. Je suis persuadé qu’une fois le public dans la salle, il va adorer. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi ce titre et pas un autre. Je vous donne rendez-vous...

 

Propos recueillis le 2 mars 2020

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