L’incontournable Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron
Pour les amateurs de lyrique, les grands festivals d’Opéra dans le monde ne manquent pas. Pour les adeptes inconditionnels de claviers, la chose est entendue, ils convergent tous vers la Mecque du piano. Et si le Festival de La Roque d’Anthéron était unique au monde ? Eléments de réponse…
Certains festivals sont plus mythiques que d’autres. Aussi lorsqu’une célèbre institution comme le Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron vous invite à partager des moments de grâce, le voyage ne se refuse pas. Il se savoure même des mois à l’avance car pour tous les amateurs de clavier, c’est le rendez-vous estival incontournable.
Il existe d’autres festivals 100 % piano mais ils sont rarement étalés sur près d’un mois et surtout, ils ne sont ne sont pas aussi riches en événements (seul peut-être le Klavier-Festival Ruhr en Allemagne serait comparable). Il faut dire qu’en un peu moins de quarante ans, tous les grands noms se sont produits sur la scène en plein air du Parc du Château de Florans. Lors de la toute première édition en 1981, le président et fondateur Paul Onoratini a invité Vlado Perlemuter, les sœurs Labèque, Martha Argerich et Krystian Zimerman (auréolé des palmes du Concours Chopin cinq ans plus tôt).
L’autre homme fort de La Roque, René Martin son directeur artistique est aujourd’hui un grand programmateur de concert (on lui doit entre autres, La Folle Journée de Nantes) et un dénicheur de talent reconnu. Dès les premières éditions, il a osé inviter les jeunes talents comme en 82, Abdel Rahman El Bacha, Jean-Efflam Bavouzet ou encore Ivo Pogorelich. Rapidement, les concerts symphoniques ont complété la programmation des récitals de piano grâce à la fameuse conque acoustique qui a connu plusieurs versions (celle actuellement en place a été installée en 2007). Les récitals de clavecin, la musique de chambre, le baroque mais aussi le jazz et les musiques du monde sont venus naturellement étoffer les spectacles pour offrir aujourd’hui plus d’une centaine de manifestations. Paul Onoratini a depuis passé le flambeau à ses enfants avant de quitter la scène. La rue qui borde le parc porte son nom, bel hommage de la ville à un homme qui a contribué au rayonnement de La Roque d'Anthéron au-delà des frontières de l’hexagone.
A 38 ans, il atteint l’équilibre entre jeunesse et maturité
L’édition 2018, 38ème du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron a accueilli plus de 75 000 spectateurs dans quinze lieux différents. Les 6 et 7 août 2018, les événements proposés ont été un beau résumé de ce que peut être La Roque, entre découvertes et concerts prestigieux, à la hauteur de la réputation du Festival. A 18h00 le lundi, c’est sous une chaleur étouffante que les cigales et les spectateurs ont accueilli le récital de Florian Noack. La grande originalité du jeune artiste à la technique impeccable vient des choix de répertoire. Le récital intitulé « Album d’un voyageur » (comme le CD paru en avril) nous emmène en effet sur des terres peu fréquentées. Après des œuvres de Percy Grainger, une transcription des Volkslieder de Brahms et un Rachmaninov volontaire, le pianiste ouvre bien des horizons avec deux danses arméniennes de Komitas, des pièces de Grieg assez rares ou ces Variations sur des airs de biniou trégorois de Paul Ladmirault où l’on entend bien le crachin breton, à défaut de le ressentir sur nos têtes. La Danza iberica de Joaquin Nín emportée convainc plus que les valses de Schubert, soignées mais trop cérébrales. Florian Noack nous a offert un récital pointu et exigeant laissant sans doute une partie des spectateurs sur le quai mais pour les autres, le voyage fut enrichissant.
Le soir, c’est devant le parvis de l’église Notre-Dame de l’Assomption à Lambesc que le Trio Wanderer a attendu que les cigales se couchent pour interpréter les deux célèbres Trio avec piano, opus 99 & 100 de Franz Schubert. L’ensemble pourtant familier de ce répertoire pour l’avoir enregistré en 2008 semble le réinventer sous nos yeux. Dans le premier trio, les Wanderer après un Allegro vraiment sautillant ont joué un Andante subtilement mélancolique puis de plus en plus intense pour nous arracher des larmes. Le Scherzo un peu absent a laissé place à un Rondo vraiment puissant.
Dans le deuxième trio, le violon de Jean-Marc Pillips-Varjabédian se montre plus chantant que dans l’œuvre précédente avec un Allegro volontaire. Les trois artistes abordent le célèbrissime Andante con moto sans pathos et dans une épure qui laisse s’installer une tension. Dans les notes pointées du piano de Vincent Coq, l’on entend le Schubert crépusculaire du Winterreise tandis que le Raphaël Pidoux sait rendre à la fois le crépuscule et la lumière de la partie violoncelle. Dans le Scherzo et dans le final profond et radieux, le Trio Wanderer finit de nous enchanter grâce à cette interprétation renversante. En bis, le Notturno est une évidence grâce au naturel et à la limpidité du jeu de l’un des plus grands Trios actuels.