Marlis Petersen, exceptionnelle Leonore révélée par René Jacobs à Paris
Leonore et Fidelio ne ferait qu’un ! Et il est vrai que l’héroïne qui s’appelle Leonore se fait passer pour un homme, le dénommé Fidelio. Mais alors, l’opéra Fidelio de Beethoven est-il le même que Leonore dirigé par René Jacobs à la Philharmonie ? Apparemment, pas tout à fait ! Explications…
Beethoven n’a écrit qu’un seul et unique opéra, le célèbre Fidelio. Et pourtant, une autre partition presque identique qui porte le titre de Leonore a précédé le chef-d’œuvre. Cette pièce que l’on a pu entendre le 7 novembre 2017, à la Philharmonie de Paris a vu le jour au Theater an der Wien le 20 novembre 1805. Dans un contexte politique chargé, son insuccès a poussé le compositeur allemand à remanier cet opéra en 1806, puis à reprendre complètement son travail quelques années plus tard. Depuis 1814, Fidelio que l’on retrouve à l’affiche de toutes les grandes salles internationales est donc la version définitive. Le prequel Leonore ne manque pourtant pas de charme…
Lorsque le chef et musicologue de renom René Jacobs a annoncé une tournée européenne pour défendre cette rareté, il a suscité un vif l’intérêt. Celui qui nous a habitué aux grandes redécouvertes n’est pourtant pas pionnier, cette fois. Révolution baroque aidant, plusieurs chefs d’orchestre avant lui ont proposé leur vision comme John Eliot Gardiner ou Marc Minkowski (une version mise en scène a même été à l’affiche du Théâtre des Champs-Elysées, en 1997). Le mélomane averti connait Leonore également grâce à quelques enregistrement discographiques. Difficile toutefois pour celui qui garde dans l’oreille son Fidelio bien connu, de ne pas jouer au jeu des sept erreurs lors de l’écoute.
Le grand mérite de Jacobs est de surprendre constamment jusqu’à parfois déstabiliser son auditoire. Il parvient ainsi à convaincre plus facilement encore et à presque faire oublier l’autre oeuvre. Dès l’ouverture, le chef traduit l’élan et la fougue beethovénienne à la tête du parfait Freiburger Barockorchester. L’orchestre sur instrument d’époque sonne ample et symphonique dans la belle acoustique de la Philharmonie, à la fois expressif et nuancé. Plus attendu, le chœur de la Zürcher Sing-Akademie rivalise de beauté et de puissance évocatrice. Le tempo du célèbre chœur « O welche Lust, in freier Luft » est plus rapide qu’à l’habitude. Comme un savant manipulateur, René Jacobs nous emmène habilement sur un chemin familier en nous montrant des détails inconnus du paysage.
Marlis Patersen transcende le rôle de Leonore
Mais la plus parfaite réussite de cette version semi-scénique reste la distribution vocale, exceptionnelle. Passons sur le Don Pizarro de Johannes Weisser qui ne sait pas traduire la noirceur du personnage. L’augmentation artificielle du volume ne fait qu’exposer un timbre engorgé pas très agréable. A l’opposé, Robin Johannsen dessine une charmante Marzelline, à la voix fraîche comme il se doit face au Jaquino familier de Johannes Chum. Dans le superbe quatuor « Mir ist so wunderbar », l’on mesure la parfaite harmonie des timbres et surtout, une différenciation idéale. Dimitry Ivashchenko arrive à apporter un bel éventail de couleurs à sa superbe voix de basse. Il incarne un Rocco crédible scéniquement avec supplément d’âme. Tareq Nazmi avec un bel aplomb se remarque aisément dans le court rôle de Don Fernando. Ténor solide, Maximilian Schmitt a une approche chambriste du personnage de Florestan. La voix se déploie sans emphase dans son grand air « Gott! Welch Dunkel hier!" qui est chanté comme un Lied.
Révélation pour les uns, confirmation pour les autres, Marlis Petersen incarne une Leonore époustouflante. La soprano allemande beaucoup trop rare sur les scènes françaises possède une voix et une technique incroyables. Les vocalises redoutables de son grand air sont affrontées avec une facilité déconcertante. Le timbre est d’une beauté à se pâmer (même la voix parlée). Quant au jeu d’actrice, un pur miracle se produit sur scène.
La bonne nouvelle est qu’une captation a été réalisée pour une prochaine sortie au disque. Un bonheur n’arrive jamais seul !