Dialogues des Carmélites à Bruxelles : confirmation et révélation
Lorsque des petites sœurs chantent particulièrement bien et lorsque l’une d’entre elle se révèle à nous, l’on rentre dans les ordres à La Monnaie-De Munt de Bruxelles pour acclamer ces Dialogues des Carmélites exceptionnels. Doit-on crier au miracle ou plus simplement bravo ? Réponse…
L’Europe entière est heureuse de retrouver l’un des joyaux de l’Art lyrique. Le Théâtre de la Monnaie-De Munt de Bruxelles a rouvert cette saison après quelques travaux qui lui permettent maintenant d’accueillir des productions avec une machinerie plus complexe. Le directeur général de l’institution, Peter de Caluwe, a eu une savante intuition en coproduisant Dialogues des Carmélites de Poulenc avec le Théâtre des Champs-Elysées, un spectacle d’une rare intensité. A quelques exceptions notables, la représentation du 12 décembre 2017 nous a permis de retrouver presque à l’identique la distribution qui a fait les beaux soirs de la salle parisienne, en décembre 2013. Elle confirme tout le bien que l’on pensait déjà de ce spectacle qui s’avère de nouveau, une parfaite réussite.
Alain Altinoglu, brillant directeur musical de La Monnaie-De Munt insuffle beaucoup de théâtre dans sa direction précise et ardente. Le chef n’oublie jamais le grand symphoniste qu’il est par ailleurs, notamment lors du prélude d’un final où l’orchestre déferle et offre un contraste saisissant avec un Salve Regina retenu et superbement émouvant. La mise en scène d’Olivier Py est un modèle que l’on a plaisir à revoir pour en mesurer toute l’intelligence et la profondeur. L’on retrouve les décors sombres et parlants de Pierre-André Weitz et quelques marqueurs de l’univers « pyesque » comme les jeux d’ombres ou la craie sur les murs. Les douze tableaux s’enchaînent comme autant de stations ponctuées par des représentations bibliques épurées.
Un miracle se produit sur scène
La spiritualité évidente d’Olivier Py nourrit la représentation théâtrale. Il bénéficie d’un plateau de chanteurs exceptionnels, à commencer par Patricia Petibon. La soprano française a fait sien le rôle de Blanche de la Force. Sans perdre de sa fraîcheur et la spontanéité de son personnage, elle cisèle encore plus son interprétation et livre une performance époustouflante. Véronique Gens est fidèle au parfait souvenir qu’elle avait laissé en Madame Lidoine, d’une profonde humanité. La voix de Sophie Koch qui possède toujours ses aigus wagnériens percutants a retrouvé un medium plus confortable. La présence poignante de Sandrine Piau est un luxe bienvenu dans le rôle de Sœur Constance qu’elle transcende avec la voix lumineuse qu’on lui connait.
Les chœurs de La Monnaie-De Munt et le reste de la distribution sont dignes d’éloges (touchant Guy de Mey) et l’on ne cessera de féliciter les directeurs de théâtre de favoriser des chanteurs francophones pour défendre la prosodie si exigeante de Poulenc. Côté rôles masculins, Nicolas Cavallier est à sa place en Marquis de la Force. La voix de Stanislas de Barbeyrac est idéale même s’il manque toujours à ce superbe ténor, le lâcher-prise qui le rendrait absolument parfait.
La véritable révélation de la soirée est la mezzo française Sophie Pondjiclis. L’on connait bien cette belle artiste trop souvent sous distribuée qui trouve enfin avec Madame de Croissy, un rôle à la hauteur de son immense talent. Ce qui se passe sur scène est exceptionnel car la comédienne se consume littéralement, avec des moyens vocaux qui rendent justice à l’écriture de Poulenc. Jamais l’on n’aura entendu une Prieure aussi intelligible. Fait rare et qui mérite d’être souligné, le célèbre « Oh ! que ne puis-je arracher ce masque avec mes ongles » est chanté. La scène inoubliable de l’agonie dans un lit suspendu est l’un des temps forts de cette mise en scène, un modèle à voir absolument, en espérant que le miracle se reproduise encore et encore !
(Nous signalons que les représentations se poursuivent à La Monnaie-De Munt jusqu’au 23 décembre et que la production est reprise ensuite à Paris au Théâtre des Champs-Elysées, du 7 au 16 février 2018, sans Sophie Pondjiclis, hélas !)
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